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FROM THE BEQUEST OF
MRS. ANNE E. P. SEVER,
OF BOSTON, Wibow oF CoL. JAMES WARREN SEVER,
(Class of 1817)
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(ORRESPONDANT
RELIGION — PHILOSOPHIE — POLITIQUE HISTOIRE — SCIENCES — ECONOMIE SOCIALE VOYAGES — LITTERATURE — BEAUX-ARTS
SOIXANTE-SEIZIEME ANNEE
TOME DEUX CENT SEIZIEME DE LA COLLECTION
NOUVELLE SERIE. — TOME CENT QUATRE-UINGTIEME
PARIS BUREAUX DU CORRESPONDANT
31, RUE SAINT-GUILLAUME, 34
1904 Reproduction et traduction interdites,
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PARAISSANT LE 10 ET LE 25 DE CHAQUE MOIS~
PARIS, DEPAPTEMENTS ET E[RANGER Un an, 35 rr. — 6 cis, 18 FR. — uN Numgéno, 2 FR. 50
SOIXANTE-SEIZIEME ANNEE
10 JUILLET 1904
3 — I. LA RENAISSANCE DU PAGANISME EN MORALE. . . FERDINAND BRUNETIERE,
de l'Adcadémie frangaise, 21. — Il. LA FIN DUNE INSTITUTION CENTENAIRE. — LA SUPPRESSION DU CONCOURS GENERAL. . . . — L. DE LANZAC DE LABORIE.
35. — Ill. LES IDEES DE S. S: PIE X SUR LE CHANT DEGLISE. PreRRE AUBRY.
55. — IV. LA REVISION DU PLAIN-CHANT..... . . . CH.-M. WICOR, 67. — VY. LE JAPON IL Y A QUARANTE ANS. — SOUVENIRS DUN OFFICIER DE MARINE. ..... ..+ + G. PRADIER, Capitaine de vaisseam en retraite. s3. — Vi. LE MAL D’AIMER. —V..... . « + « «.+ ) HENRI ARDEL, 12s. — Vil. LE PROJET DE DESCENTE EN ANGLETERRE EN 1804. — DOCUMENTS INEDITS TIRES DES ARCHIVES DU ere fo tS EW. go et ee EDOUARD GACHOT. 144. — Vil. AU PAYS DE « LA VIE -INTENSE ». — VI. — Une PARGISSE A WASHINGTON. — EDUCATION DE BLANCS ET | DE NOIRS. — FRYTES NATIONALES. — FIN. . . . . . #£-FELIX KLEIN. 475. — IX. REVUE DES SCIENCES... . ..-. «+ . « . . HENRI DE PARVILLE. gs1.— xX. CHRONIQUE POLITIQUE. ...... =. =. . + AUGUSTE BOUCHER,
is2. — XI. BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.
La 2* Table Générale du CORRESPONDANT (1874-1900) , EST EN VENTE A NOS BUREAUX 4 fort volume in-8° de 400 pages. prix : 5 FRANCS
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PARIS BUREAUX DU CORRESPONDANT
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= 19 10 h -— Repritation et traduction interdites, Les manuscrits non insérés he sont pas rendus,
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CORRESPONDANT
LA RENAISSANCE DU PAGANISME
EN MORALE
Parmi les phénomenes inquiélants de heure présente, il y en a de plus apparents, mais je doute quil v en ait de plus curieux pour Vobservateur, et en méme temps de plus inquiétant, que « la renaissance du paganisme dans la morale ». C’est ala con- dition, il est vrai, de ne pas ici Pentendre en moraliste chagrin et comme qui dirait en censeur morose de la corruption des moeurs eontemporaines. Les mceurs contemporaines, au début du ving- tiéme siecle, sont-elles plus « corrompues » quen d'autres temps, quau temps du Directoire, par exemple, ou de ta Régence, ou de \a Fronde, ou de la Renaissance? Je ne le crois pas, pour ma part; et on aurait quelque peine a le démontrer. Je crains plutot, -avee Paseal, que « la malice et la bonté du monde, en général, ne soient toujours les mémes », & quelques nuances prés; ct s'il serait aisé de relever de nos jours des formes de corruption nou- velles, nées du changement des mceurs ou des habitudes, on en citeraif aisément de « démodées » ou-d’éteintes, et de « fossiles », Si josais ainsi dire. Ce n’est pas non plus une plus grande ou plus apre avidité de jouir, que j'appelle de ce nom de « renais- sance du paganisme »; et elle n’en serait, en tout cas, qu’un effet entre beaucoup d autres, non le symptéme, ni l’explication ou ta cause. Peut-étre en est-il de lavidité de jouir, comme on a pu
ire Livraison. — 10 JUILLET 1904. 1
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dire avec vérité qu'il en était du ivxé = Ie gout et Fapparence en sont de nos jours plus répandus gu’au temps de Louis AIV, si l'on veut, ou de Léon X; mais la réalité nen a pas pour cela changé de nature. Et je ne veux point enfin désigner, sous ce nom de « paganisme », je ne sais quel relachement ou que! abandon des principes qui est dans l'histoire le signe caractéris- tique de toutes les civilisations avancées. Le « dilettantisme » nest qu'une forme du « scepticisme », et le scepticisme n'est pas néces- sairement ni toujours pajien... Mais c’est autre chose que je veux dire; et, deputs cent cinquante ans passés, si la grande prétention des philosophes, et de la philosophie méme, a été de fonder une morale indépendante de toute religion, une morale empirique et laique, une morale d'usage et de pratique, — « la morale des hon- nétes gens », comme on I'a quelquefois nommée, — une morale dont les prescriptions fussent également impératives pour le chreé- tien et le bouddhiste, pour I’ « homme jaune » et pour! « homme blane », pour le Grec et pour le Romain, pour le crovant et le libre-penseur, je voudrais montrer, dans la présente étude, que non seulement on n'a pas réussi, mais que ce grand effort na jusqu'a présent abouti qu’a réintégrer dans-l’enseignement moral les principes du paganisme. Je vais essaver den trouver la preuve ou le témoignage dans les progres de PIadiridualisme, du Nate- ralisme et de I'Etatisme.
I
Ce n'est pas ici le lieu de rechercher les origines historiques de Tendividualisme, ni d’en retracer les progres depuis trois ou quatre cents ans. [I suffira done de rappeler que, contemporain du mouvement de la Renaissance, mais géné et méme_ inter- rompu dans Je cours de son libre développement par cet autre mouvement qu'on désigne dans Thistoire sous le nom de « Contre- Réformation », il n'a pris une pleine conscience de lui-méme qua la fin du dix-huitieme siecle, avee et dans les qwuvres de J.-J. Rousseau et de Kant. Depuis Kant et Rousseau, depuis Emile et depuis la Critique de la raison pratique, Vindividua- lisme en morale, c'est ce qu'on nomme encore des noms de « souveraineté de la conscience » et d° « autonomie de la volonteé ». Par Vindividualisme, chacun de nous, en morale, est constitué souverain juge de ses actes ef surtout de ses intentions. Que faut-il faire? Et que ne faut-il pas faire? Oi est le bien? Et ot est le mal? Quest-ce que le vice, et qu'est-ce que la vertu? Notre « conscience » répond a toutes ces questions; il nous suffit de
LA RENAISSANCE DU PAGANISME EN MORALE 6
linterroger; et, non seulement la réponse qu'elle y fait est « sou- veraine », mais il n'y a qu'elle qui puisse la faire. La régle des regles, ou plutot la seule regle, est de ne point « agir contre notre conscience! » Ou nous avons agi selon notre conscience, il n'y @ pas dautorité qui puisse décider que nous avons mal agi. Nous ne concevons pas, on ne concoit pas de tribunal au-dessus delle. Elle est le juge et elle est la loi.
Si fractus illabatur orbis, Impavidam ferient ruinz...
Les hommes peuvent nous condamner! Si nous avons pour nous le témoignage de notre conscience, nous nous moquerons de leurs condamnations! Nous nous retrancherons dans notre cons- cience comme dans un fort inexpugnable. Nous l'opposerons, elle toute seule, a la conjuration, que dis-je! a la « conscience » de Fhumanilé tout entiére. Et puisqu il n'y a qu'un principe d’erreur en morale, qui est de ne pas suivre aveuglément les prescriptions de notre conscience, nous les suivrons, et dussions-nous d’ailleurs nous trumper au regard de nos semblables, notre erreur méme en ce cas nen sera pas une, mais plutot le témoignage et le triomphe de notre vertu.
Vuila de belles formules! et, de la doctrine qu’elles résument, nous sommes tous, aujourd hui, tellement imprégnés, que je me sentais presque embarrassé de les combattre, quand j'ai relu, Yautre jour, un admirable sermon de Bourdaloue sur la Fausse conscience. Jen ose conseiller Ja lecture et la méditation a tous ceux qui sont, de nos jours, comme enivrés de la « souveraineteé de la conscience » et de I’ « autonomie de la volonté ». Il y a de « fausses consciences ». Il y a des consciences naturellement perverties et, pour ainsi dire, « corrompues » avant que de s'étre exercées ou seulement interrogées. Mais, surtout, il y en a de « déformées » ou de « faussées » par Véducation, par les habi- tudes, par les conditions. « On peut agir selon sa conscience, dit a ce propos Bourdaloue, et néanmoins pécher, et, ce qui est bien plus étonnant, on peut pécher en cela méme et pour cela méme qu on agit selon sa conscience, parce quil y a certaines cons- ciences selon lesquelles il n’est pas permis d'agir. » Et telles sont, dirons-nous aprés Bourdaloue, la plupart des « consciences » que lon pourrait appeler « professionnelles », qui sont celles que l'on s'est insensiblement formées d’aprées et dans le sens de son intérét, de Vintérét ou de l’'amour-propre de la classe, de la caste, du corps auquel on appartient. Consciences de diplomates, cons- ciences de militaires, consciences d’ « intellectuels », consciences
8 LA RENAISSANCE DU PAGANISWE EN MORALE
ad’ « hommes d affaires », consciences de magisirats, consciences méme de prétres, il y en a de toutes les especes, presque autant qu il y a de conditions ou de professions parmi les hommes, et en sen apercoit bien toutes les fois que vient a surgir en morale ane vraie difficulté. On pourrait dire, sans exagération, et avec ane longue énumération de titres a lVappui, que le théatre, en général, et le roman ne vivent que de ces difficultés, et de la manicre dont les tranche Vinfinie diversité des « consciences ». Mais, dans la réalité méme — et cet exemple mest suggéré par admirable roman de M. Paul Bourget, wn Devorce,-— si la « cons- eience » d'une honnéte femme condamne le divorcee, et si la « cons- eience » dun honnéte homme l'approuve, ne faut-il pas, de toute nécessité, dans une question de cette nature, que un des deux se trompe, et soit guidé par une « fausse conscience »? La conscience est done souveraine, si on le veut et si lon tient au mot, en ce sens que personne au monde na le droit de « contraindre » un étre humain, par la violence ou par la force, a « agir contre sa eonscience »! Mais cette conscience, au demeurant, n'est toujours que Ja conscience d'un individu. Quand on en a reconnu, déclaré, prociamé la souveraineté, la morale reste donc tout enticre a fonder. Et cela est tellement évident, quaprés avoir proclamé eette « souveraineté de la conscience », on a di faire comme si eette souverainelé nexistait pas, n'était qu'un mot, et, pour donner one base a Ja moralité individualiste, il a fallu la chercher ailleurs.
On a cru Ja trouver dans « le respect de soi-méme », et, en effet, « se respecter soi-méme, » ou plutot respecter en soi ce earactére general d’humanité dont chacun de nous nest ici-bas quun représentant éphémére, une « réalisation particuliere » et transitoire, c'est le principe, jy consens, de plus d'une vertu. Mais non pas de toutes! Et, par exemple, comment persuadera- t-on 4 don Juan que ce soit « manquer au respect quil se doit a soi-méme » que de multiplier ses conquétes amoureuses, lui, qui les trouve plus empressées de se rendre a mesure qu elles sont plus nombreuses? Comment le persuadera-t-on au bonhomme Grandet, qui sent augmenter son pouvoir a mesure quil arrondit son lomaine, et devant qui les autres hommes sinclinent a mesure plus respectueusement et plus bas? Oa comment persuadera-t-on aux César et aux Napoléun quils se fussent mieux « res- pectés eux-mémes », sils se fussent contentés, César d écrire sur la Gramamaszre, et Napoléon de passer colonel déartillerie a l'ancienneté? Le « respect de soi-méme » hélas! presque tou- jours, ce nest que le respect qu'on a pour lopinion des autres, a
LA RENAISSANCE DU PAGANISWE EN MORALE 4a
moins encore que ce ne soit, si je fose dire, un simple « déemar- quage » du stoicisme antique, et par |'intermédiaire des Epicteéte te des Mare Aureéle, un retour a la théorie du surhomme : Hurma- num parcis vevil genus.
Certes, je ne veux point meédire ici du « stoicisme » en général, ni méme, et en particulier, d’Epictete ou de Vempereur Mare Auréle. Il est vrai qu'on nous les a lun et l'autre étrangement surfaits. Taine avait commencé, dans ses Essats de Criteque et d Histoire! Mais c’est Renan, dans son Marc-Auréle, qui, sans Voser dire avec une franchise qui n’était pas dans ses habitudes, a subtilement insinué que si le christianisme n’avait point pare dans le monde, peut-étre le stoicisme I'aurait-il, et assez avanta- geusement, remplacé. On peut toujours faire de ces insinuations et de ces suppositions. Ernest Havet n'y a pas manque, dans ses Origines du Christianisme, sur quoi Scherer leur a répondu que si le stuicisme edit pu suffire 4 transformer le monde, il ne restait plus qu’a expliquer comment et pourquoi donc il ne Il’avait pas fait? Quand ona débrouillé les origines judaiques et les origines grecques du christianisme, il reste a examiner pourquoi ni lhel- lénisme ni le judaisme n’ont accompli l’uvre du christianisme , et cest justement tout le probléme.
Je ne le crois pas difficile 4 résoudre, en ce qui concerne le stoicisme. Moralement, te stoicisme n’est qu'une doctrine ou une école d'orgueil, et, supposé qu'il ne le fit pas a Vorigine, dans lenseignement de Cléanthe ou de Zénon, il Pest en tout cas devenu dans le Manuel dEpictéte et dans les Pensées de lempereur philosophe. Convaincu du néant de toutes choses, et plus particuliérement de Vinutilité de Veffort humain contre la puissance aveugle et nécessaire de la nature, le stoicisme n’a trouvé de refuge que dans « la tour d'ivoire » de son orgueil. Lisez et relisez a ce propos le long préambule des Pensées, ow Marc-Auréle, sous couleur de « rendre témoignage aux dieux, a ses parents et a ses mattres, pour tout ce qu il leur doit, » s‘attribue, dans une interminable énumération, « toutes les vertus et les perfections imaginables, sans se trouver un seul defant, sans se faire un seul reproche, et se peint comme une Pandore, ornée de tous les dons. » Ces expressions ne sont pas de mot, mais du savant historien de la pensée grecque, Félix Ravaisson, dans son Essai sur la métaphysique d Aristote, et je m'éetonne seu- lement qu’en se séparant de lui, les Taine, les Havet et les Renan naient pas pris du moins la peine de nous en indiquer les raisons.
Car l’epinion de Ravaisson sur le stoicisme est celle d'un helle- niste! C'est Fopinion d'un « philosophe »! Et, surtout, c'est Pope
& LA RENAISSANCE DU PAGANISME EN MORALE
aion d'un historien qui a étudié le stoicisme dans sa suite, ainsi que dans ses rapports avec les autres doctrines de la philosophie srecque, et non pas seulement, comme Havet ou Renan, dans le Manuel d'Epictéte ou dans les Pensées de Marc-Aureéle. Facheux effet, en vérité, d'une méthode qui consiste, pour se faire une idée plus originale ou plus « personnelle » des choses dont on veut parler, & commencer par négliger ce que les autres en ont dit avant nous! Mais nous qui croyons, au contraire, avec Auguste Comte, que tout jugement critique ne se dégage que de la totali-
gation des jugements qui Font lui-méme précédé, nous revendi-
quons ici le droit de nous en remettre, sur l’esprit du stoicisme, a Ravaisson plutot qu’a Renan, et plutot qu’a Havet. Il a connu mieux qu’eux le stoicisme et les stoiciens; et il n’avait point, en an parlant, la secrete préoccupation de nous montrer jusqu’a quelle hauteur, sans le secours du christianisme, pouvait sélever la pensée humaine,
Que si maintenant on veut voir la liaison de cette doctrine, « dont l’orgueil est le fond », avec Vindividualisme; et se rendre compte qu’en cela méme elle est le contraire du christianisme, an peu de réflexion y suffira. Le stoicisme est proprement l'apo- théose de lindividu. « Avant que Vhomme soit, Dieu nest pas encore arrivé au terme de sa perfection; il n'est done pas vrai- ment Dieu, et c'est pour devenir Dieu qu'il vient dans homme. Or homme, pour les stoiciens, c'est ce quelque chose doué de raison et de volonté qui dit de soi-méme : Je, Moz. Ce qu'il adore dans le Dieu intérieur, devenu son génie, c'est donc lui-méme, qui, par sa volonté seule, s'est fait et se fait a tout moment Dieu. » Nous touchons ici, pour ainsi parler, la forme extréme du « respect de soi-méme », Ce que nous respectons en nous, c'est la supériorité que nous nous reconnaissons. Chaque pas que nous faisons vers le perfectionnement de nous-mémes nous tire du traupeau de nos semblables. Qu’y a-t-il de commun entre le puissant empereur et Blandine, humble esclave de Lyon? A peine un peu d’humanité! Mais, en tout le reste, ils différent; et c'est ainsi qu insensiblement, du plus pur stoicisme, et du plus # magnanime », s‘engendre, pour achever et pour couronner la morale individualiste, la théorie du « surhomme ».
C’est le point o& nous en sommes aujourd hui. Nos « intel- feetuels » n’osent pas ouvertement le déclarer, mais ils le pensent; ot 14 méme est la raison de leur « anticléricalisme », qui nest que le masque ou le déguisement de leur haine du christianisme. Toute morale qui repose sur ce qu'on appelait naguére « Je don de |! homme a l‘homme », nest a leurs yeux, comme aux veux de
LA RENAISSANCE DU PAGANISME EN MORALE 9
Nietzsche, quune « morale desclaves ». La morale quils récla- ment est une morale d’aristocrates et de privilégiés. I] leur faut des droits que ne possédent pas les autres hommes, et une inves- liture de puissance qui les éléve a la dignité de conducteurs de leur espéece. Car, on entend bien que ce n'est pas pour eux, dans leur intérét, pour la satisfaction de leur amour-propre ou de leur vanité, mais cest pour nous, pour notre bonheur a tous, dans linterét de la civilisation et du progres, qu ils sollicitent cette investiture!... « I] répétait souvent (c'est encore Marc-Auréle), le veeu de Platon, que les rois fussent philosophes ou que les philo- sophes fussent rois. » Renan, lui, se serait contenté qu ils fussent « philologues »! Et, d/ailleurs, en exposant ces paradoxes favoris, les uns et les autres noublient que deux points : le premier, qu il ne dépend que de chacun de nous de se considéner lui-méme comme un « surhomme », — car pourquoi m inclinerais-je devant Nietzsche ou Renan? — et le second, que, dans la mesure ou les autres consentiraient a nous reconnaitre pour tel, nous aurions travaillé, tous ensemble, sous couleur de progres, et de progres moral, a rétablir dans le monde moderne ce qu il vy avait presque de plus odieux dans Je monde antique : c'est le régime des castes et celui de lesclavage.
Sil en est ainsi, nous ne parlons donc point par figure, mais litteralement, quand nous signalons, dans les progrés recents de Vindividualisme, un retour au paganisme, et une rétrogradation de la morale de l'avenir vers les morales de l'antiquité. Théorie du surhomme, respect de soi-méme, autonomie de la conscience ou de la volonté, tous ces mots ne montrent ou ne déguisent qu une seule et méme intention, qui est de « déchristianiser » je monde et, pour le « déchristianiser » plus sirement, de le ramener a ce qu'il était avant le christianisme. Ce réve, apres avoir été le réve des encyclopédistes, et celui des hommes de la Révolution, est aujourd’hui le réve, plus ou moins conscient, de tous ceux qui travaillent 4 « laiciser » la morale. Savent-ils toujours ce qu’ils font? C'est une autre question, que je n'examine pas ici. Quelques-uns d’entre eux sont assurément de tres hon- nétes gens, qui ne se croient pas si coupables! Et, en effet, quel mal font-ils, en se rangeant de la « religion » de Mare Aurele et d‘Epictete ou de Socrate et de Platon? C'est ce quon vient d‘essayer de leur dire. Ils progressent a reculons! En morale comme en politique, ils s’appliquent a restaurer tout ce que le christianisme, dans le monde occidental, et avant lui le boud- dhisme, en Extréme-Orient, s’étaient efforeés de détruire. Et, a la vérité, je ne crois pas quils réussissent! Mais s‘ils y devaient
w LA RENAISSANCE DU PAGANISWE EN MORALE
Kéussir un jour, au grand dommage de humanité, ce n'est pas eux quil en faudrait surtout, ni principalement accuser, mais gous, quiles aurions laissé faire, el qui nous en serions pares- seusement remis a la religion du soin de se défendre elle~-méme, et toute seule. Aidons-nous si nous voulons que le ciel nous aide! Et pour cela ne nous lassons pas de signaler et de combatire, entres autres, les manifestations de cette renaissance du paga- aisme dans Ja morale.
II
En voici, en effet, une seconde, et si nous examinons les sys- fmes de morale 4 la mode, les progrés du naturalasme n'y sont pas moindres ni moins apparents que ceux de lendividualisme. On sait ce que c est que le naturalisme dans la littérature ou dans Part, et la fortune qu'il y a faite. Le naturalisme en art, ou pour mieux dire en esthétique, cest la doctrine qui réduit Vart a « Timitation » de la nature, avec « interdiction d'y rien méler qui eorrige ou qui redresse l'objet de limitation ». Pour en montrer briévement l’étroitesse et Uinsuffisance, il n'y a qu'un mot a dire, et ce mot, c'est quil y a des arts, comme la musique ou larchi- tecture, qui ne sont pas des arts d imitation. On se sert encore du mot de naturalisme en philosophie et il y est 4 peu pres synonyme de panthéisme, en tant qu'il caractérise les doctrines d'imma- rence; et ce sont toutes celles qui expliquent le monde par le seul jeu des forces naturelles. Mais, en morale, of nous avons besoin de plus de précision, toute doctrine est naturaliste qui enseigne la bonté de ja nature humaine, qui préche l’émancipation des ins- tincts, et qui conclut finalement a la divinisation des énergies de fa. nature : ce sont encore, si |’on ose ainsi dire, autant d’articles du Credo des paiens.
C’est Rousseau qui passe pour avoir répandu, dans la circula- tion des idées de son temps, le paradoxe aventureux de la bonté de la nature; mais d’autres « philosophes » I'y ont passionnément aidé, tels qu'Helvétius — que sa meédiocrité n’a pas empéché d’exercer au dix-huitiéme siécle une influence considérable, — tels que Diderot et tels que Condoreet. Or, ce qu'il faut bien savoir et ve qu'on oublie trop souvent, c'est que le paradoxe n'est pas né de lui-méme et, en quelque maniére, tout armé, comme autrefeis Minerve du cerveau de Jupiter, mais il ne s'est formé que par apposition et contraste avee la doctrine du péché originel. Rap- pelons-nous ici les fortes paroles de Pascal : « Chose étonnante, que le mystere le plus eloigne de notre connaissance, qui est
LA RENAKSSANCE DU PAGANISME EN MORALE | it
celut de la transmission du péché, soit une ehose sans laquelle hous ne pouvens avoir aucune connaissance de nous-inémes. Certainement, rien ne nous heurte plus rudement que cette doctrine, et cependant, sans ce mystére, le plus incompréhen- sible de tous, news sommes incompréhensibles a nous-mémes. Le neend de notre condition prend ses replis et ses tours dans cet abime. de sorte que fhomme est plus inconcevable sans ce mys- lere que ce mystére nest inconcevable a Fhomme ». Puisque done lédifice de la retigion est bati tout entier sur ce « mvystere »; puisque, si nous ne maissions pas corrompus, ses lois n'auraient pas de lieu d'étre; et puisquenfin, toute la morale chrétienne « postule », comme on dit, cette corruption, qu’y a-t-il done a faire pour avoir anéanti du méme coup les lois positives, ha
‘morale de lEglise, et la religion du Christ? Une seule chose, qui
est d opposer au mystére de la « transmission du péehé » l'affir- mation de la « bonté de la nature »; et c'est, en effet, ce que sont venus faire les encvelopédistes.
I est vrai gu'a peine avaient-ils jeté leur paradoxe dans le monde, la Révolution francaise, a son tour, est survenue, et le monde, un peu honteux de sétre trop aisément laissé séduire, a doutée de la « bontée » des assassins de septembre et des bourreaux de la Terreur! Les savants ont ensuite paru qui nous ont donné le singe peur ancetre, le « vorille lubrique et féroce », ou au singe et & nous, — c'est une distinction a laquelle ils tiennent beaucoup, — un aneétre commun. On sest donc, et assez naturellement. demande s‘il ne subsistait pas en nous quelque trace, quelque « ressentiment », comme on disait jadis, de notre origine animale, et consequemment, si des instincts plutot facheux ne contra- riapent pas quelquefois le cours inoffensif de notre bonté natu- relle. Et la phrtosephie de Schopenhauer, enfin, faisant école, on a vu dexcellents esprits inchner vers un pessimisme dont les conclusions ne pouvaient guére exeepter « la nature humaine » de la condamnation méprisante qu elles jetaient sur « le monde ». La pbilesophie de Schopenhauer, a de certains égards, n'est pas tres élorgnée de celle de Pascal.
On a done heésité un moment ser « la bonté naturelle de homme ». Un moment, on ne I’a cru ni tout a fait bon; ni tout a fait méchant. Mais nos philosophes ont été finalement plus forts, jentends ceux du dix-huitiéme siéele, et, finalement, c'est eux que nous avons suivis. En vain, leurs contradicteurs, — dont nous sommes, — invoquent-ils Vhistoire.... et Fanthropo- logie! En vain invoquent-ils Pobservation journalitre! Malus puer robustus, lemeéchant nest qu'un enfant robuste! En vain commen
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tent-ils, en Villustrant d’exemples quotidiens, le mot célebre de Hobbes! On ne nous écoute seulement pas, ou, si par hasard il arrive qu’on nous entende, alors, on s’en tire par une pantalon- nade; et on nous demande si c’est en nous, ‘dans la fréquentation de notre propre conscience que nous avons puisé cette triste idée de ’humanité? Mais, plutét, je me trompe, et on ne plaisante pas! On est sincére! On croit fermement que notre « nature » est bonne, puisqu elle est la « nature », et que nos instincts nous ont été donnés pour en user, puisque nous les avons! Ce n'est donc pas eux que nous devons corriger ou redresser, mais la morale qui les condamnait. Ils sont ce quils sont, et ce quils ne peuvent pas ne pas étre! Le premier article d’une morale vrai- ment humaine est de s’y conformer. Qu’on ne nous parle plus de cépression ni de contrainte. « Ii faut suivre la nature. » C’est en elle, dans lobservation de ses lois, que toute morale est enclose, eomme aussi bien toute vérité. Ni nous ne pouvons errer en la suivant, ni peut-étre, dés que nous nous en écartons, ne pas tumber dans lerreur. Mais si ce sont bien les enseignements que nous entendons aujourd’hui donner de toutes parts, qui sont en train de pénétrer jusque dans Vécole, et qui résument le pur esprit de toutes les morales « sans obligation ni sanction », y eompris la morale méme de la solidarité, qu’y a-t-il en méme temps, je ne dis pas de plus « immoral » — on me dirait que je n’en ai pas encore le droit, — mais qu’y a-t-il de plus paien?
Assurément, je nai pas la prétention de caractériser, en quel- ques pages ou en quelques lignes, les « religions de l’antiquité », Eégyptienne et l’hindoue, la grecque et la romaine, celles de la Perse et de l’Assyrie! Nées et constituées en des temps, appro- priées a des races et & des circonstances différentes, historiques et locales, politiques et méme économiques, je sais qu elles doivent done différer profondément entre elles. Mais, quand on assaie de les rassembler toutes sous un méme point de vue, et on en ale droit, si toute « analyse » n’a de raison d’étre qu'en fonction de la « synthése » qu'elle prépare, toutes ces religions, en tant que « paiennes », ont un caractéere au moins de commun, lequel est d'étre, littéralement, une « divinisation » des énergies de la nature. Prenons la religion ou la mythologie grecque, et, pour commencer par faire un sacrifice aux préyugés, moquons- gous du vers de Boileau :
Minerve est la Prudence et Vénus la Beauté!
Mais, aprés nous en étre moqués, reconnaissons qu'il y a « quelque chose de cela » dans l’Olvmpe hellénique. Qu’est-ce
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que Bacehus, sinon l’apothéose de la gourmandise, ct Mercure, sinon la divinisation de lastuce? Qu’est-ce que Junon, sinon la divinisation de -Forgueil, et Vénus, sinon l'apothéose de Ja dé- bauche? Ils et elles sont autre chose que cela, je le veux bien! d‘obseurs et de profonds symboles, dont je ne méconnais ni la profondeur ni Ja poésie. Mais ils sont aussi cela!
Vous n’en punissez pas qui n’ait son maitre aux cieux, dit le Polyeucte de Corneille, en parlant des vices de Phumanite :
La prostitution, l’adultére, l’inceste, Le vol, l’assassinat, et tout ce qu'on déteste, C’est l’exemple qu’a suivre offrent vos immortels.
Ila raison! Si quelque lecon se dégage de leur légende, c'est celle non seulement de la « bonté », mais je dirai : c’est celle de la « legitimité », de la « nature ». « Je ne saurais quelle idée me faire du bien, disait Epicure, si je supprimais les plaisirs du boire et du manger, ceux de l’ouje et ceux de Vénus! » Et Métrodore, un de ses disciples, ajoutait : « C'est le ventre qui est lobjet veritable de la philosophie conforme a la nature. » Est-ce ici du « paganisme? » Est-ce du « naturalisme? » Le lecteur n’aura pas de peine a voir que c est les deux a la fois, et, pour ainsi parler, « solidairement ». Les religions de Vantiquité ne sont ce qu elles sont qu'en tant que naturalistes, et toute morale naturaliste nous ramene au point de vue qui est le seul qui reste ala pensée de homme, quand il essaie de séparer la morale de la religion. La divinisation de Ja nature, tel est le « dogme fondamental » des religions de Vantiquité, et le naturalisme en morale ne saurait toujours et nécessairement aboutir qu’a une restauration du « paganisme ». |
Me dira-t-on peut-étre ici que l'on n enseigne parmi nous rien de semblable? Et, en effet, je ne crois pas qu il se rencontrat un insti- tuteur pour développer cette triste maxime que : « Le plaisir du ventre est le principe et fa racine de tout bien! » Je ne crois pas non plus que nous soyons des paiens, mais que nous sommes en train de le redevenir; et ce nest pas tout a fait la méme chose. On ne secoue pas dix-huit cents ans d’hérédité chrétienne comme on ferait une habitude récente et la coutume d'un jour. Mais que, par la rehabilitation de Vinstinct et la légitimation sophistique de ses exigences, on tende insensiblement, et sans le savoir peut-étre, a Yintégration du naturalisme dans la morale, c'est ce qui ne me parait pas douteux ni contestable, et c’est tout ce que je prétends montrer. Dans la mesure ot! nous nous « déchristianisons », ce
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que je voudrais qne l'on vit bien, c'est que nous ne devenons pas « neulres, » Mais nous nous « paganisons ». J ai essavé d indiquer la conséquence extreme de cette « paganisation ».
Car si l'on-n'enseigne point encore que « le plaisir du ventre est le principe et la racine de tout bien », du moins enseigne-t-on, et couramment, que nos instincts nous ont été donnés, non seu- lement pour n'y pas résister, quand ils nous sollicitent, mais pour les développer et pour les cultiver. C'est un mot assez significatif d’Helvélius, dans son livre De [Esprit, que « nous devenons stu- pides des que nous cessons détre passionnés ». Nos pédagogues en ont fait leur devise. Quelque pudeur les retient peut-étre sur Yarticle du « ventre », et eneore non pas ceux dentre eux qui professent la theorie socialiste appelée « la conception materia- liste de histoire ». Mais, sous le nom de « respect de soi-méme », on Va vu, ce quils travaillent a développer, c'est Forgueil, et ce (uils développent sous le nom d’ « éduecation de la volonté », c'est la concurrence. Tant pis pour celui qui nest pas le plus fort! Qu'il succombe, s'il n'a pas su se défendre! Mais, du muins, qu’en aucun cas, on nexige de son vainqueur qu'il abdique les aptitudes qui lui ont assuré la victoire! Car, en.les exereant, il n'a fait qu'user de son droit; et, de plus, — avec une ironie qui res- semblerait a du cynisme, si elle n était plutét de Fineconscience, — on-« démoentre » qu’en raison de la « solidarité », c est lui, sans doute, mais c'est aussi Uhumanite tout entiere, la civilisation et le progres qui profitent de Vusage quil a fait de son droit. La divini- sation de ja nature, par un curieux détour, aboutit ainsi aux memes conséquesces que lTapothéose de Vindividu; et, a ce. propos, on ne peut sempécher de faire une interessante obser- vation.
Divinisation de la nature ou apothéose de Vindividu, il semble: que la morale ne puisse décidéineat se passer dun « absolu ». On nappuie rien d'éternel ni duniversel a quelque chose de relatif ef de toujours changeant. Pour fonder la morale, ou une morale queleonque, on a besoin d'une hypothese ou dun « pous- tulat » qui équivale a Dieu! C’est encore la verification des paroles de Pascal : « Dieu seul est notre véritable bien; et depuis que nous lavons quitté, c'est une chose étrange quil n’y aid rien dans la nature qui ne soit capable de nous en tenir la place : astres, ciel, terre, ¢lément, plantes, choux, poireaux, insectes, animaux, veaux, serpents, fiévre, peste, guerre, famine, vices, adulltre, inceste. £¢ depuzs que nous avons perdu le vrar been, tout également peut nous paraitre tel, jusqua notre des- truction propre, quoique si contraire a Dieu, a la raison et a la
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nature tout ensemble. » Un Dieu! il nous faut un Dieu! indépen- <lamment meme du besoin naturel de croire, et cela dés que nous cherchons une régle de notre conduite! Un Dien! ec’est-a-dire un pouvoir qui ne reléve que de lui-méme, dont les prescriptions nous soient données comme souveraines, un pouvoir dont on n'‘appelle pas, qui nait a rendre compte 4 personne de ses actes, qui soit ce guil est paree qu'il est, une autorité qui ne s impose pas moms a notre raison qu’a notre conduite. Si nous le quittons, comme dit Pascal, e’est-a-dire si nous cessons de le voir en fui, nous le mettons dans la nature; sil n’vy peut demeurer, nous le mettons dans la « conscience », c’est-a-dire dans Vindividu; et si nous ne pouvons enfin le laisser dans lindividu, parce que tot -ou tard c'est l'anarchie qu'il y réaliserait, alors, — et c’est le dernier signe que je voudrais indiquer de la renaissance dn paganisme, — alors, nous le mettons dans Etat ou dans la eité.
ii
Ii ne faut pas confondre les « religions d’Etat » avee la « reli- sion de TEtat ». Une « religion d’Etat » c’était le catholicisme, en France, sous ancien régime; c’est, encore aujourd’hui, lan- glicanisme en Angleterre ou lorthodoxie grecque en Russie. C'est la religion que lEtat professe, qu'il enseigne et qu'il admi- nistre, dont on pourrait dire qu'il est le pape, comme en Russie, ou « Pévéque du dehors », comme on appelait autrefois nos rois. C’est encore la religion officielle et privilégiée, celle que |’Etat subventionne ou entretient a titre de service public, a laquelle seule sont attribués des droits que n’ont pas toutes les autres. La religion de « la majorité des Francais » est déja autre chose, et Nimplique 4 vrai dire qu’une reconnaissance de fait. Mais ta « religion de VEtat », c’est Etat lui-méme, et comme tel, en quelque sorte, divinisé, ]’Etat substitué dans les droits de Dieu ou plutét encore, c'est PEtat-Dieu; et i} nv a rien de plus « paien » ni de plus particuliérement grec. N’a-t-on méme pas voulu voir dans cette coneeption de !Ktat ou de la « cité » te chef-d’'ceuvre du génie grec?
Disons donc, en ce cas, que la Gréce ne s‘est pas bien trouvée (avoir enfanté son chef-d’eeuvre, sil n’v a rien, je le veux bien, de plus intéressant que la Poltteque dAristote, mais rien non plus de plus misérable, de plus lamentable, et de plus instructif, en ce sens, que Vhistoire des démocraties grecques. Mais disons surtout qu'on ne saurait se former ni de la morale une conception
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plus immorale, que de la subordonner ainsi a la politique, ni