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REVUE

DES

DEUX MONDES

LXXIV ANNÉE. - CINQUIÈME PÉRIODE

TOMK XX. !•• MARS 1904.

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REVUE

DES

DEUX MONDES

LXXIV ANNÉE. CINQUIÈME PÉRIODE

TOME VINGTIÈME

PARIS

BUREAU DE LA REVUE DES DEUX MONDES

RUE DE l'université, 13

1904

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DTE DE SAINTE-HÉLÈNE

5 DERNIERS JOURS DE NAPOLÉON EN FRANCE

IJd) HEFORT ST LE « BELLÉROPHON »

I

ie du jour, TEmpereur s'arrêta au château de Ram-

5 voulait que prendre une heure de repos, mais,

après le souper, il se sentit légèrement indisposé. Il but une

tasse de thé et se mit au lit. On repartit de bon matin le lende-

nain 30 juin. Au relais de Vendôme, la maîtresse de poste vint

i la portière de la calèche et demanda d'un air effaré s'il était

rrai « qu'il fût encore arrivé un malheur à l'Empereur? » Elle le

econnut. Elle leva les bras au ciel et s'enfuit en pleurant dans

a maison. Entre onze heures et minuit, on traversa Tours. A la

ortie de la ville, l'Empereur fit arrêter la voiture devant une

uberge et chargea Rovigo d'aller chercher le préfet. C'était le

omte de Miramon, un de ses anciens chambellans. Il voulait

'informer si quelque courrier suspect n'avait point passé par

ours, car il craignait qu'un émissaire de Fouché ne l'eût de-

iCé pour préparer un guet-apens. Miramon s'empressa de se

I Voyez la Bévue du 15 février.

j

\ .

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) REVUE DES DEUX MONDES.

*endre à l'appel de l'Empereur, qui eut avec lui un entre lix minutes. On courut d'une traite jusqu'à Poitiers, i aisser passer le plus fort de la chaleur, qui était accabla] it halte pendant une couple d'heures à la maison de ituée hors de la ville. L'Empereur profita de cet arr< aire envoyer, par le général Beker, un courrier au préfe ime de Rochefort. Il était impatient de savoir si les f aises à sa disposition pourraient appareiller dès son arri

A Saint-Maixent, les habitans, dont la curiosité était i »ar cette calèche à quatre chevaux, s'amassèrent alentour [ [u'elle relayait. On cherchait à connaître les noms de ces ;eurs de marque. Un officier de garde nationale demai passeports. Beker remit le sien; mais comme cette piè( édigée de façon insolite et qu'elle mentionnait seules général Beker, un secrétaire et un valet de chambre, 1' Le voulut point prendre sur lui de laisser partir la voi ïorta le passeport à l'hôtel de ville; le maire refusa de in laissez-passer. La foule augmentait. Bertrand, Rovigo ommençaient à être inquiets. Beker se fit reconnaître d'u enant de gendarmerie qui se trouvait parmi les curieui iria de se rendre sur-le-champ à la municipalité et de l porter son passeport visé, (f la mission d'État dont il était le devant souffrir aucun retard. » L'officier obéit, bientôt ure put repartir. Au reste. Napoléon eût-il été reconn l'en fût rien résulté de fâcheux. Gomme partout l'o lassé jusque-là, la population était pour l'Empereur; leî ions que l'on posait à ses compagnons de route témoigne lersistance des sentimens bonapartistes. Le général Bek< onde à écrire dans son rapport au Gouvernement provi Napoléon n'a pas été reconnu, mais il a été très sensil émonstrations d'intérêt, à la curieuse inquiétude avec 1; n demandait de ses nouvelles sur son passage. »

On atteignit Niort, le 1®^ juillet à dix heures du soir, tambouillet, on avait roulé presque sans arrêt. L'Em tait très fatigué par ces trente-huit heures dans une i ermée. Il résolut de coucher à l'auberge de la Boule d'Or u faubourg Saint-Maixent, et dépêcha Rovigo au préfc informer de son passage dans la ville et l'inviter à le ver B lendemain de bon matin. Le préfet, Busche, témoigna >rise que « l'Empereur fût descendu dans une auberge q

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LA ROUTE DE SAINTE-HÉLÈNE. 7

p de l'hôtel de la Préfecture. » Quelques heures de sa très matinale visite, il insista si fort que cida à partir en voiture avec lui. Il n'avait plus n incognito, car, tandis qu'il regardait par la dant le préfet, le major Voisin, du hussards, mp de manœuvres, et d'autres personnes encore, u. Bientôt des gi'oupes se formèrent devant la cris de : Vive l'Empereur ! Napoléon se refusa à balcon. Le préfet, Bertrand, Beker descendirent la place pour engager les manifestans à se re- due, la foule augmentait et les acclamations ne

-midi, l'Empereur reçut le chef des mouvemens ;hefort; il apportait une lettre du préfet mari- le de vaisseau de Bonnefous, en réponse à la ter avait envoyée de Poitiers. « La rade, écrivait étroitement bloquée par une escadre anglaise. Il trèmement dangereux pour la sûreté de nos fré- ç)«*«7 ^^ V.CIIC wd leur chargement de chercher à forcer le passage. Il faudrait attendre une circonstance favorable, qui ne se présen- tera pas de longtemps dans cette saison. Les forces qui nous bloquent ne laissent aucun espoir de réussir dans le projet de faire sortir nos bâtimens. »

Bonnefous craignait les responsabilités. La mission dont on

l'avait chargé était difficile et particulièrement délicate, car, à

Taccomplir selon les ordres du gouvernement du jour, on risquait

d'aller contre les vœux du gou\nernement du lendemain. Ces

pensées troublaient le préfet maritime au point d'obscurcir en

lui la vision exacte des choses. Il grossissait les difficultés, les

bstacles, les périls. Il était vrai qu'une escadre anglaise, com-

landée par l'amiral Hotham, croisait sur la côte. Mais ce que

ionnefous savait aussi et ce qu'il perdait de vue, c'est que cette

îcadre, forte de trois vaisseaux, de deux frégates et d'une dî-

une de corvettes, bricks, avisos (1), était échelonnée depuis la

(1} Vaisseaux : le Bellérophon (devant Rochefort], le Superb (devant Quiberon), Chatham (Iles) d'Ouessant). Frégates : le Paciolus et VHebrus l'embouchure 'a Gironde). Corvettes, bricks, avisos : Slaneyf Astrea, Telegraphy Falmouth,

îanuSf CéphaluSj Cyrus^ Opossum, Daphné, Ferret, Endymion, Myinnidon.

InsieuTS de ces bâtimens légers étaient employés au service des dépêches entre

^orts anglais et les bâtimens en croisière devant Quiberon, Rocherort et la

"tde.

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8 REVUE DES DEUX MONDES.

pointe de Quiberon jusqu'à Tembouchure de la Gironde, soit sur une étendue de 180 milles marins (240 kilomètres). Pour garder le pertuis d'Antioche, large de plus de 8 milles marins, le per- tuis Breton et le pertuis de Maumusson, qui donnaient tous trois accès à la rade de Rocheforl, il n'y avait, à la fin de juin, et il n y eut jamais dans la suite, qu'un seul vaisseau anglais, le Belléro- phon, et un ou deux petits bâtimens(l). 11 était donc au moins excessif d'écrire, comme le fit Bonnefous, que la présence de la croisière « ne laissait aucun espoir de sortir de la rade. »

La lettre du capitaine de Bonnefous inquiéta vivement l'Em- pereur. « Il s'en montra désolé, » dit le préfet Busche. Mais, en même temps, les ovations des habitans de Niort réveillèrent ses espérances assoupies. « Le gouvernement, dit-il à Beker, connaît mal l'esprit de la France. S'il avait accepté ma dernière proposition, les affaires auraient changé de face. Je pouvais en- core exercer, au nom de la nation, une grande inQuence sur les affaires politiques en appuyant les négociations par une armée à laquelle mon nom aurait servi de point de ralliement. » Dominé par ces pensées, il pria Beker d'informer la commission executive de l'obstacle mis par la croisière au départ des frégates et de lui proposer de nouveau « d'employer l'Empereur comme général, uniquement occupé du désir d'être utile à la patrie. » Sur la de- mande expresse de Napoléon, Beker ajouta : « Sa Majesté désire être autorisée à communiquer avec le commandant de l'escadre anglaise, si des circonstances rendent cette démarche indispen- sable tant pour sa sûreté personnelle que pour épargner à la France la douleur et la honte de voir l'Empereur enlevé de son dernier asile et livré à la discrétion de ses ennemis. »

Fouché et ses collègues ne songeaient guère à défendre Paris et moins encore à employer pour cette défense l'épée de Napoléon. L'Empereur conservait sur leurs sentimens de bien surprenantes illusions. Mais il ne s'abusait pas sur sa propre position. Déjà il n'y voyait d'autre issue digne de lui que de se livrer librement à l'Angleterre.

Le prince Joseph, Gourgaud, le général Lallemand avaient

(1) Du 21 au 30 juin, le Bellérophon avait avec lui le Céphalus et le Myrmidon ; le !•' juillet, aucun bâtiment; du 2 au 5 juillet, la Vliœbé; du 6 au 9, le S/aneyet le Myrmidon; \t iO, le Myrmidon et le Falmoulh; le li, le Slaney et le Myrmidon; du i2 au 14, le Slaney, le Cyrus (au phare des Baleines) et le Myrmidon Mau- uiusson) ; le 15, le Myrmidon et le Cyrus.

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LA ROUTE DE SAINTE-HÉLÈNE. 9

l'Empereur à Niort (1). Il eut l'idée d'y séjourner en int la réponse du gouvernement provisoire ou des avis vorables du préfet maritime. Il envoya Gourgaud à Roche- ur savoir si Ton pourrait tromper la surveillance de la re en gagnant la haute mer par la passe de Maumusson. i soirée, Lallemand soutint un autre projet. Le 2^ hussards es exalté. Tous les officiers s'étaient présentés à la préfec- is voulaient proposer à l'Empereur de se mettre à la tête ' régiment pour retourner à Paris ou pour aller dans la \ rejoindre l'armée du général Lamarquc/ Lallemand la d'accepter cette offre. Mais Napoléon avait trop souci de ité et du bien de la France pour courir pareille aventure. 00 000 ennemis en marche sur Paris, il comprenait l'im- possibilité d'un second retour de l'île d'Elbe. Pour couper court aux propositions de ce genre comme aux inquiétudes de Beker, qui le pressait de se rendre à Rochefort, il résolut de quitter Niort. Il déclara qu'il partirait le lendemain à quatre heures du natin. Cette décision s'ébruita. Quand l'Empereur monta en oiture, la foule, malgré l'heure matinale, se pressait dans les lies. Aux Vive l'Empereur! se mêlaient les cris : Restez ici! lestez avec nous ! Le 2<» hussards était monté à cheval pour pré- enter une dernière fois les armes à l'Empereur. Bien que Napo- Bon n'eût point demandé d'escorte, un peloton commandé par n officier accompagna sa calèche sabre au poing. A une poste e la ville, l'Empereur congédia les hussards. Il remercia l'offi- ier et fit donner à chaque cavalier son portrait gravé, sur une ièce de vingt francs.

On savait dans toute la contrée que Napoléon était à Niort, Q route pour Rochefort. On le guettait dans chaque village, ►uand on voyait passer la calèche à quatre chevaux, nul ne outait qu'il ne s'y trouvât, et l'oncriait : « Vive l'Empereur ! » Mauzé, à Saint-Georges, à Surgères, à Muron, à Saint-Louis, entendit les mêmes acclamations. On achevait la fenaison ; les

{\) Joseph, parti de Paris, le 29 juin, pour aller s'embarquer à Bordeaux, avait

>uJu dire un dernier adieu à son frère, et, de Limoges, il s'était dirigé vers Ro-

efort par Niort. Il apprit que l'Empereur était à la Préfecture. Gourgaud

quitté la Malmaison, peu après l'Empereur, l'avait rejoint h Rambouillet et

it suivi ensuite à quelques postes de distance. Marchand était dans une voiture

;aiTait ceUe de Gourgaud. La comtesse Bertrand et ses enfans, qui avaient

la même route, arrivèrent aussi à Niort le 2 juillet. Le général Lallemand

-^vtl seul, de Paris.

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10 REVUE DES DEUX MONDES.

hautes meules qui s'élevaient partout rappelaient aux paysans les grands travaux de drainage ordonnés par l'Empereur en 1807 et grâce auxquels cette région de marais, infertile et malsaine, s'était transformée en vaste prairie. « Vous voyez, dit-il à Beker, les populations me savent gré du bien que j'ai fait. Par- tout où je passe, je reçois les témoi^ages de leur reconnais- sance. »

II

Depuis quatre jours, le préfet maritime était informé, par des dépêches de Decrès, de la très prochaine arrivée de Napoléon. Decrès lui avait prescrit de faire aménager les frégates la Saaie et la Méduse pour y embarquer l'Empereur et sa suite à desti- nation des Etats-Unis. Ces bàtimens devaient être prêts à appa- reiller douze heures après que l'Empereur serait à Rochefort, « si toutefois la croisière ennemie n'était pas dans le cas de s'y opposer. » Bonnefous avait aussitôt donné des ordres aux com- mandans de la Saale et de la Méduse^ les capitaines Philibert et Ponée.Des vivres pour quatre mois et demi avaient été apportés à bord, on avait complété les équipages, embarqué les canots, envergué les voiles. Le 3 juillet, à huit heures du matin, quand l'Empereur descendit de voiture devant la préfecture maritime, tout était disposé pour appareiller.

Impatient de partir, l'Empereur voulait s'arrêter seulement quelques instans à Rochefort et aller incontinent s'embarquer en rade. Il s'informa si les frégates étaient prêtes. Bonnefous l'en assura, mais il dit, comme il l'avait écrit la veille, que les per- tuis étaient bloqués et les vents contraires. Sur le désir de Na- poléon, Beker réunit en conseil à la préfecture plusieurs officiers.- supérieurs de la marine et le vice-amiral Martin. En disponibi- lité depuis 1810, Martin s'était retiré à la campagne, près de Rochefort; apprenant l'arrivée de l'Empereur, il avait dans l'in- stant quitté sa retraite pour venir le saluer. Le conseil, à qui le préfet maritime fit partager ses vues troublées, reconnut qu'il était impossible aux frégates de tromper la vigilance de la croi- sière (1). L'amiral Martin ouvrit l'avis que l'Empereur gagnât

(1) L'opinion du Conseil fuf déterminée par l'avis que, « depuis le 29 juin, la croi- sière avait doublé le nombre de ses bàtimens. » Ce renseignement était faux. Le 29 juin, il V avait devant les pertuis le Bellérophon et les deux bricks ou corvettes

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LA ROUTE DE SAIMTE-HÉLÈNE. 11

OU sur un canot. Il trouverait à l'embouchure corvette la Bayadère, commandée par le capi- Je connais Baudin, dit l'amiral. C'est le seul de conduire l'Empereur sain et sauf en Amé- oposition acceptée en principe, Bonnefous en- r à Royan. Le lendemain, dans la soirée, on de Baudin. Il se faisait fort de conduire l'Em- îque soit sur l'une de ses deux corvettes la ^atigable^ soit à bord du Pike^ bâtiment améri- ordinaire rapidité de marche, qu'il convoierait . » En cas de rencontre, écrivait le futur amiral, avec la Bayadère et V Infatigable pour barrer le ni. Quelque supérieur qu'il puisse être, je suis

)• »

Lgréa ce projet, mais il ne se hâta point de s'y ates avaient eu la mer libre et le vent favorable, sur l'heure. Son ferme dessein était d'aller ivelle en Amérique, et il lui paraissait conforme uitter la France sur un bâtiment de l'État avec )ériaux. Mais son départ dans ces conditions se lié ou ajourné, il temporisa. Avant que de 'un navire américain, ne fallait-il pas attendre es vents pouvaient tourner, la surveillance de la

^Ctphalus et le Myrmidon; le 3 juillet, il y avait devant ces mêmes pertuis le Bellérophon et la corvette la Phœbé (le Cephalus avait été envoyé devant la Teste et le Myrmidon détaché au large de Bordeaux).

Pour conclure, il n'était point plus « impossible »de sortir de la rade de Roche- fort, Ton avait trois accès différens sur la mer et que surveillaient un vaisseau et un brick, qu'il n'était impossible de sortir de la Gironde, dont l'embouchure était gardée par deux frégates et deux petits bâtimens. Or, le capitaine Baudin allait s'offrir à sortir de la Gironde, en répondant du succès. Maitland, d'ailleurs, le com- mandant du Bellérophon, a reconnu plus tard qu'il n'y avait pas impossibilité '^ sortir de la rade de Rochefort.

(1) Lettre de Baudin k Bonnefous, en rade du Verdon, 5 juillet, quatre heures

u matin. Toute cettre lettre de Baudin est simplement admirable. En voici les

cmières lignes : m L'Empereur peut se fier à moi. J'ai été opposé de principes et

'action à sa tentative de remonter sur le trône, parce que je la considérais comme

evant être funeste à la France, et certes les événemens n'ont que trop justifié

ïes prévisions. Aujourd'hui, il n'est rien que je ne sois disposé à entreprendre

our épargner à notre patrie l'humiliation de voir son souverain tomber entre les

os de notre plus implacable ennemi. Mon père est mort de joie en apprenant

etoor d'Egypte du général Bonaparte. Je mourrais de douleur de voir l'Em-

■ur quitter la France, si je pensais qu'en y restant il pût encore quelque chose

f elle. Mais il faut qu'il ne la quitte que pour aller Tivre honoré dans un pays

et non pour mourir prisonnier de ses ennemis. »

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12

ntmiE DES DEUX MONDES.

ïh'

croisière pouvait être déjouée, TAngleterre pouvait accorder des sauf-conduits. Suprême espérance enfin, TEmpereur s'obsti- nait contre toute raison : le gouvernement, contraint par les cir- constances, un soulèvement du peuple, un tumulte militaire, n'al- lait-il point le rappeler h la tête de Tarmée? Si rien de tout cela n'arrivait, il serait toujours temps de s'échapper par la Gironde. Et si même il était trop tard, resterait la ressource de demander asile à l'Angleterre (1). Napoléon avait conçu ce projet dès le jour de l'abdication ; il y trouvait «de la grandeur. » A l'Elysée et à la Malmaison, il s'en était ouvert h Hortense, à Bassano, à Lavalette, à Carnot; en passant à Niort, il avait demandé les moyens de l'exécuter, le cas échéant. C'était une obsession. Il la repoussait sans cesse ; sans cesse elle revenait troubler, dominer sa pensée.

Los journées des 5, 6 et 7 juillet se passèrent dans l'attente. Aucune nouvelle de Paris, le vent continuant de souffler fai- blement du large, la croisière toujours en vue. Une nouvelle

(1) Dès rile d'Elbe, l'Empereur avait dit au commissaire anglais Campbell que peut-être il irait finir ses jours en Angleterre, et lui avait demandé s'il ne serait pas lapidé par la populace de Londres.

n y a aux Archives des Affaires étrangères (vol. 1802) une let*re de Londres que peut-être Napoléon ne lut pas, mais que, peut-être aussi, il put lire, et qui était de nature à influer sur sa détermination. Cette lettre, datée du 16 juin 1815, ne porte point de signature ; elle est adressée à une dame de l'intimité de l'Empereur, et même, apparemment, de sa famille, peut-être à la princesse Hortense. En voic^ les passages essentiels :

« Madame, votre silence semble assez m'indlquer que la vérité vous déplaît et que vous suspectez ma véracité. N'importe ! Je connais l'étendue de mes devoirs envers vous et votre famille. Je les remplirai. Avant-hier, j'ai appris que la réunion de personnes diverses par leur rang, mais réunies par leur grand caractère et leurs lumières, avaient été d'opinion que si l'empereur Napoléon demandait Thos- pitalité en Angleterre, elle lui serait a,ccordée ; que dès lors sa personne y serait sacrée ; que, relativement au séjour plus ou moins éloigné de la capitale, il y aurait peut-être les mêmes arrangemens que ceux pris lors du débarquement de Louis XVIU en Angleterre. Vous allez. Madame, ou, pour mieux dire, vous avez déjà taxé mes sollicitations prévoyantes de pusillanimité. Je n'en tiens pas moins à mon système. L'Angleterre est la plus puissante ennemie du présent monarque français, mais ce pays est le seul port sûr et hospitalier pour le prince malheu- reux. Si tout était perdu pour vous, et si vous adoptiez la résolution de paraître ea Angleterre, il serait instant qu'une dépêche ou une simple lettre fût adressée d'avance, de la manière la plus secrète au principal ministre, le secrétaire d'État aux Affaires étrangères, à Londres, et qu'elle lui fût remise en personne, sans formes et démarches préliminaires... »

Je répète qu'il est possible que Napoléon n'ait pa<i eu connaissance de cetti lettre, que peut-être même la destinataire ne l'ait point reçue. Je trouve cepen- dant que cette lettre a un rapport au moins singulier avec les instructions secrètes de Napoléon & Gourgaud, du 14 juillet, que je citerai plus loin.

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LA nofttî DE âAlNtE-lTÉLÉNE. 13

proposition fut soumise à TEmpereur. Le lieutenant de vaisseau Basson se trouvait être con signataire d'une goélette danoise de cinquante tonneaux, la Magdelaine, qui appartenait à son beau- père, un certain Frulhe. Il offrit de charger d'eaux-de-vie ce petit bâtiment et d'y embarquer T Empereur avec quatre personnes de sa suite. Une barrique bien matelassée, de façon à supprimer le son creux, garnie de tubes à air et arrimée parmi le lest, servirait de cachette à Napoléon au cas d'une visite en mer. Ces préparatifs exigeant plusieurs jours. Las Cases, d'après l'ordre de Bertrand, signa un contrat avec Besson pour le nolis et l'amé- nagement de la goélette et l'achat d'une cargaison d'eaux-de- \ie(l). L'Empereur n'avait cependant accueilli ce projet qu'avec répugnance et sans marquer nullement sa résolution d'y recourir. On conçoit que la pensée d'être découvert par les Anglais caché dans une futaille révoltât l'homme qui s'appelait Napoléon.

Toute la suite de l'Empereur avait rejoint : le général de Montholon, les officiers d'ordonnance Planât, Résigny, Autric, les officiers polonais Schultz et Piontowski, Las Cases et son fils. M"* de Montholon et son fils, le page Sainte-Catherine de La Pagerie, le chirurgien Maingaud, le capitaine Mercher, le lieutenant Rivière, un fourrier du Palais, des piqueurs, des maîtres d^hôtel, des valets de chambre, des valets de pied, trois femmes de chambre, en tout cinquante personnes, y compris celles qui étaient arrivées à Rochefort en même temps que Napo- léon. On revit aussi le prince Joseph. De Niort, il était parti pour Bordeaux, mais, reconnu à Saintes, arrêté, menacé de mort, et enfin relâché, il avait craint pareille aventure sur la route de Bordeaux et s'était dirigé vers Rochefort, dans l'intention d'en partir avec l'Empereur (2).

(1) Besson, qui avait donné sa démission en 1815, entra en 1820 au service de Mehen)et-Âli. 11 créa la marine égyptienne et fut nommé vice-amiral avec le titre de Bey.

(2) A Saintes, on était d'opinion divisée, mais le royalisme dominait. Le matin du 3 juillet, quelques bourbonistes ardens, au nombre desquels trois ex-gardes du corps, apprirent que des personnages de marque avaient couché à Cognac, en route pour Rochefort par Saintes. Napoléon était-il parmi eux? On ne savait. En tout cas, Us seraient de bonne prise. Les gardes du corps postèrent leurs adhéren:* Quand les voitures se trouvaient Montholon, Las Cases, Résigny, M"* de Mon- tholon arrivèrent au relais, les royalistes en armes contraignirent les voyageurs à descendre et les retinrent prisonniers dans l'auberge. Peu de temps après, Joseph, qui, lui, venait de Niort, fut également arrêté et interné. Pendant que l'on portait les passeports à la municipalité, qui, semble-t-ii, était en majorité complice, on

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14

REVUE DES DEUX MONDES.

'â'

Les Rochefortais étaient restés très bonapartistes. La présence de TEmpereur causa dans la ville une émotion profonde. Le soir de son arrivée, la population entière envahit le jardin de la préfecture maritime en criant : « L'Empereur! l'Empereur ! Vive l'Empereur ! » de toute la force de ses quinze mille voix. Les cris ne discontinuant pas, il se décida à venir un instant sur la ter- rasse. Un silence religieux accueillit son apparition, puis les acclamations reprirent dans un élan d'enthousiasme frénétique. Qiaque soir, pendant le séjour de l'Empereur, les mêmes scènes se renouvelèrent. « Buonaparte, écrivait avec indignation au Comte d'Artois le général de Maleyssie, a été reçu à Rochefort comme un dieu. »

Le 8 juillet, vers midi, Beker reçut de nouvelles instructions du Gouvernement provisoire en réponse à sa lettre de Niort. Cette lettre, arrivée le 4 juillet, quand la capitulation de Paris venait d'être signée et que l'armée allait commencer son mou- vement sur la Loire, avait bouleversé Fouché et ses collègues. Ils s'imaginèrent que l'Empereur était resté à Niort; ils le voyaient déjà accourant, au milieu des sabres du hussards, à l'armée de la Loire, acclamé par les troupes, reprenant le com- mandement à Davout et recommençant la guerre. Après une courte délibération, ils adressèrent cet ordre pressant au général Beker: « Napoléon doit s'embarquer sans délai... Vous ne savez pas jusqu'à quel point la sûreté et la tranquillité de l'État sont compromises par ces retards... Vous devez donc employer tous les moyens de force qui seraient nécessaires tout en conservant le respect qu'on doit à Napoléon. Faites qu'il arrive sans délai à Rochefort et faites-le embarquer aussitôt. Quant aux services qu'il offre, nos devoirs envers la France et nos engagemens avec les puissances ne nous permettent pas de les accepter, et vous ne devez plus nous en entretenir. Enfin, la Commission voit des inconvéniens à ce que Napoléon communique avec l'escaJre anglaise. Elle ne peut accorder la permission qui est demandée à cet égard. » On décida, en outre, que la copie de

cnait sous les fenêtres de l'auberge des Armes de France : a Les scélérats I quelles figures ignobles I Ils emportent les millions de l'État ! 11 faut les pendre 1 » Les voyageurs étaient en danger. Mais il y avait des fédérés à Saintes. Avertis de ce qui se passait, ils s'assemblèrent à leur tour et se rendirent à la mairie. Grâce à |eur intervention résolue, les passeports furent visés et les voitures purent repartir, escortées par quelques gendarmes.

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LA ROUTE DE SAINTE-HÉLÈNE. 15

pèche serait immédiatement transmise aux ministres de lur, de la Guerre et de la Marine afin qu'ils donnassent res aux autorités de Niort, de la Rochelle et de Roche- ir le [succès de la mission dont était chargé le général c'est-à-dire, comme récrivait plus crûment Davout à c pour lui prêter main-forte. »

Commission de gouvernement ordonnait d'embarquer ^n, même par la force, mais elle ne parlait en aucune [e le faire partir. Bien qu'informée, par la lettre de u 2 juillet, « que la croisière anglaise rendait la sortie mens impossible, » elle ne révoquait point ses ordres irs de ne mettre à la voile que « si la croisière anglaise >as en état de sy opposer. » Ainsi, les membres du Gou- But provisoire savaient que Napoléon ne pourrait pas e la rade de Rochefort, et, d'autre part, ils lui interdi- le demander asile à Tescadre anglaise. Ils voulaient le une frégate comme dans une prison et l'y garder captit ire de lui, s'il était nécessaire, l'objet de négociations » alliés. En le laissant se livrer de sa propre volonté à ère ennemie, on eût perdu l'avantage de pouvoir le livrer le, et l'on eût donné prématurément et sans profit un a coalition.

aème temps que la dépêche du Gouvernement provisoire, fc^ait reçu des journaux de Paris qui annonçaient comme îhaine une convention avec les Alliés. Il pressa l'Empereur ire promptement un parti, car, en raison des événemens ent se précipiter, il y aurait danger pour lui à rester plus ps à Rochefort. L'Empereur ne s'émut point. C'est même iant qu'il dit à Beker : « Mais, général, quoi qu'il vous seriez incapable de me livrer? Votre Majesté, t Beker, sait en effet que je suis prêt à donner ma vie 3téger son départ. Mais, en me sacrifiant, je ne la sauve- . Le même peuple qui se presse chaque soir sous vos pour vous acclamer proférerait demain des cris d'un nre, si la scène venait à changer. Les autorités civiles et 3s, recevant des ordres d'un autre gouvernement, mécon- it les miens et rendraient votre salut impossible. » Napo- nnaissait trop les hommes pour ne pas se rendre à ce ment. « C'est bien, dit-il, donnez Tordre de préparer ircations pour l'île d'Aix. Je serai près des frégates et

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me trouverai en mesure de m'embarquer si les vents veulent tant soit peu favoriser leur sortie. »

A quatre heures après midi, Napoléon, avec toute sa suite, quitta Rochefort au bruit des acclamations. Les voitures filèrent par la route de la Rochelle jusqu'à Tembranchemenf du chemin de Fouras. A Fouras, les canots du port de Rochefort et des deux frégates attendaient dans la rade de la Coue. L'embarquement se fit « à dos d'homme, » car il n'y avait pas assez d'eau pour que les chaloupes pussent accoster le rivage. Cette scène avait attiré toute la population de Fouras, pêcheurs et vieux marins. Ils per- sonnifiaient en Napoléon la guerre contre l'Anglais, ennemi sécu- laire, tyran de la mer. « Nous pleurions comme des filles, » con- tait plus tard l'un d'entre eux. Quand, sur le canot Napoléon avait pris place, les avirons s'abaissèrent, un grand cri désespéré de : Vive l'Empereur! couvrant le mugissement des vagues, s'éleva soudain de cette foule que jusqu'alors la stupeur et l'émo- tion avaient rendue muette. La mer était forte, un vent violent soufflait du large. Au lieu d'atterrir à l'île d'Aix, comme il l'avait résolu à Rochefort, l'Empereur ordonna d'aborder tout de suite les frégates. On en a conclu que, voyant l'état de la mer, il espé- rait que les vents tourneraient et qu'on pourrait appareiller la nuit même. La traversée fut lente. Les lames ramenaient sans cesse les embarcations à la côte ; une des chaloupes faillit cha- virer. Au bout d'une heure et demie, on atteignit les frégates qui étaient mouillées dans a la fosse d'Enet, » au nord de la pointe de TÉguille. L'Empereur fut reçu à bord de la Saale avec les honneurs militaires, mais sans les salves d'usage, car il avait fait défense de les tirer.

Le lendemain, le vent étant tombé, l'Empereur voulut visiter rile d'Aix. Deux canots de la Saale l'y débarquèrent avec Gour- gaud, Beker, Las Cases et plusieurs officiers. C'était un dimanche. Le 14® régiment de marine, nouvellement formé avec des équipages, était sous les armes pour une revue d'inspection. Presque tous les habitans se pressaient alentour. Bien que Napoléon portât l'habit civil qu'il avait revêtu en quittant la Malmaison, il fut vite reconnu. Matelots et peuple l'acclamèrent. Aux « Vive l'Empereur ! » se mêlaient les cris plus significatifs : <c A l'armée de la Loire ! » Il passa à pas lents sur le front du régiment. Devant la compagnie de grenadiers, il invita le capi- taine à commander le maniement d'armes. On pense si les mou-

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LA ROUTE DE SAINTE-HÉLÈNE,

17

▼emens s'exécutèrent vivement et en mesure ! L'Empereur visita ensuite les fortifications, les digues, les jetées, tous les immenses travaux qu'il avait fait exécuter pour la défense de Tîle et la protection de la rade. Des officiers du génie et de Tartillerie l'accompagnaient. Il les entretenait de questions techniques, louant ou critiquant tour à tour la disposition d'un ouvrage, remplacement d'une batterie, et raisonnant sur tout en maître de la guerre avec une liberté d'esprit vraiment extraordinaire en ces jours d'angoisse. « Il semblait encore, dit Beker, dans la pléni- tude de sa puissance. »

De retour à bord de la Saale, l'Empereur trouva le préfet maritime Bonnefous qui apportait au général Beker une nou- velle dépêche de Decrès et un arrêté du gouvernement provi- soire en date du 6 juillet. En apprenant, par les rapports de Beker et de Bonnefous, du 4 juillet, que Napoléon avait de soi-même quitté Niort pour venir à Bochefort, Fouché et ses collègues s'étaient remis de leur panique. Le calme rétabli dans leur esprit, ils reconnurent l'incohérence, l'absurdité des instructions qu'ils avaient envoyées l'avant- veille. Aux termes de ces pre- mières instructions. Napoléon ne pouvait ni quitter la rade à cause de la croisière, ni revenir à terre, ni se rendre à bord d'un vaisseau anglais. Les membres de la Commission comprirent qu'à mettre l'Empereur dans cette situation sans issue, ils risquaient de le pousser au coup du désespoir que précisément ils redou- taient par-dessus tout. On s'empressa donc de prendre un arrêté modifiant les ordres du 4 juillet. Par l'article 1®', il était, comme précédemment, enjoint au général Beker « de presser l'embar- quement de Napoléon sur les frégates destinées à le transporter en Amérique. » Mais les articles II et III portaient : « Si, par la contrariété des vents ou la présence de l'ennemi, ce départ im- médiat des frégates était empêché et qu'il fût probable qu'on réussirait à effectuer le transport de Napoléon par un aviso, il en serait mis un sans délai à sa disposition, sous condition que ledit aviso partirait dans les vingt-quatre heures. Si Napoléon préférait être conduit immédiatement à bord d'une croisière an- glaise, le préfet maritime lui en donnerait les moyens. »

Comme Fouché et ses collègues continuaient cependant de

l'aindre que quelque circonstance imprévue ou quelque revirade

ubite n'entraînât l'Empereur à rejoindre l'armée de la Loire, ils

rirent soin de déterminer dans cet arrêté « qu'en aucun cas,

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le commandant du bâtiment à bord duquel serait Napoléon ne pourrait, BOUS peine de haute trahison, le débarquer sur un point quelconque du territoire français. Si Ton était forcé de relâcher momentanément sur la côte, ce commandant prendrait toutes les mesures de façon que Napoléon ne pût débarquer. Au besoin, il requerrait les autorités civiles et militaires de lui prêter main- forte. » Les ordres de Decrès des 28 et 29 juin, portant que les frégates ne devaient appareiller que si la croisière ennemie n'était pas dans le cas de s'y opposer, étaient maintenus et même renouvelés. Enfin, soucieux d'éviter l'accusation d'avoir livré l'Empereur à l'Angleterre, les membres du Gouvernement pro- visoire mettaient à l'envoi d'un parlementaire aux vaisseaux anglais cette condition expresse que Napoléon en aurait fait d'abord la demande formelle et par écrit. Ce petit papier, pen- saient-ils, suffirait aies dégager de toute responsabilité!

III

Le jour même, Napoléon décida d'envoyer des parlementaires à bord de la croisière anglaise. Il semble qu'il n'attendît pour cela que l'autorisation du gouvernement. Il chargea de cette mis- sion Rovigo et Las Cases; celui-ci savait l'anglais, mais il devait dire qu'il l'ignorait, afin de surprendre les propos que pourraient échanger en leur langue les officiers de l'escadre. Le lendemain, 10 juillet, les envoyés de l'Empereur s'embarquèrent au point du jour, pour profiter du jusant,sur l'a viso-mouche n*» 24. Ils portaient une lettre du Grand-Maréchal au commandant des croisières; Bertrand demandait en termes très brefs si l'on avait connais- sance des sauf-conduits qui devaient être expédiés de Londres pour l'empereur Napoléon et si, dans le cas contraire, l'escadre s'opposerait au départ des frégates destinées à le conduire aux Etats-Unis. C'était le prétexte de la démarche. Le but en était de savoir quel accueil l'Empereur recevrait à bord de la croisière et quelles étaient les dispositions du gouvernement anglais à son égard.

Le commandant du Bcllérophon, le capitaine Maitland, reçut avec convenance les parlementaires. Il lut la lettre du Grand- Maréchal, mais, avant d'y faire une réponse par écrit, il s'entretint assez longtemps avec eux. Aux diverses questions qu'ils lui po- sèrent, il répondit qu'il ne savait rien encore des événemens^

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LA ROUTE DE SAINTE-HÉLÈNE. 19

at de la bataille de Waterloo ; qu'il n'avait aucun mduits demandés pour Napoléon, mais qu'il allait rès de son chef, Famiral Hotham, stationné dans beron, si on les avait reçus; qu'en attendant cette aquerait les frégates si elles sortaient de la rade ; itérait les bâtimens de commerce français et les res, et que, s'il y trouvait Napoléon, il le retien- )r jusqu'à la décision de l'amiral. Au cours de cet ick le Falmouthj arrivant de la station anglaise de >sta le vaisseau. Le capitaine apportait des dépêches tham. Maitland les ouvrit, mais ces dépêches ne t pas, sans doute, à l'objet de la mission des parle- moins il ne leur en dit rien. On déjeuna; à table n reprit. Tout en causant, Rovigo et Las Cases stns vouloir y paraître, de démontrer au capitaine mpereur n'était nullement réduit à la nécessité de nce. Son parti, disaient-ils, était encore formi- ilait continuer la guerre, il pourrait résister long- ne pouvait se résoudre à faire couler le sang dans et. La conclusion de ces paroles était que, pour reprise des hostilités, l'Angleterre devait laisser 3ur. Maitland paraissait incrédule. « A supposer, le l'Angleterre se déterminât à accorder un sauf- les États-Unis, quel gage Napoléon donnerait-il sndrait pas prochainement pour exposer mon pays X mêmes sacrifices de sang et d'argent qu'ils ont )orter? Les circonstances ont bien changé de- ier, répliqua Rovigo. Alors, l'Empereur a abdiqué ime faction. Aujourd'hui, il a volontairement re- oir. L'influence qu'il exerçait sur la France lui pa- pourquoi il veut se retirer dans quelcpie retraite finira tranquillement ses jours en vivant de ses 3nirs. S'il en est ainsi, dit tout à coup Mait- i ne pas demander un asile en Angleterre? » Eurole qu'attendaient Las Cases et Rovigo. Mais ils point. Afin de pénétrer la signification que Mait- u mot asile, ils feignirent d'être surpris par cette r opposèrent tout de suite de nombreuses objec- it de l'Angleterre était trop humide et trop froid. , l'Empereur serait trop près de la France ; on le

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soupçonnerait d'y vivre à ralTùl des événemens politiques. Enfin, Napoléon tenait les Anglais pour ses ennemis invétérés, et les Anglais, de leur côté, le regardaient comme une espèce de monstre dépourvu de tout sentiment humain. Ne fût-ce que par simple politesse, Maitland ne pouvait pas laisser cette insinuation sans réponse. A coup sûr, il ne dit pas, comme le prétend Ro- vigo, que « Napoléon vivrait en Angleterre sous la protection des lois et à Tabri de tout. » Mais, sans nul doute, il protesta contre l'opinion attribuée à ses compatriotes à Tégard de l'Empe- reur. Peut-être même dit-il que Napoléon « n'aurait à craindre en Angleterre aucun mauvais traitement. » Au reste, cette pa- role, si elle fut prononcée,. concernait le peuple anglais en général et n'impliquait en aucune façon que le gouvernement ne pren- drait point envers Napoléon de rigoureuses mesures de sûreté.

La conversation était épuisée. Maitland écrivit au Grand- Maréchal qu'il ne connaissait pas les intentions du gouvernement anglais, mais qu'avant d'avoir reçu des instructions de l'amiral Hotham, à qui il en référait, il ne laisserait sortir de la rade aucun navire de guerre ou de commerce. Rovigo et Las Cases se rem- barquèrent avec cette lettre. A deux heures, ils étaient de retour sur la Saale.

Ils firent un rapport peu favorable. Malgré l'accueil courtois de Maitland, ils auguraient mal des suites de leur démarche. Et ils croyaient cependant que l'officier anglais avait parlé avec franchise. Quelle eût été leur impression s'ils avaient pu faire tomber son masque et pénétrer ses pensées!

Maitland avait dit qu'il ignorait tout ce qui s'était passé de- puis la bataille de Waterloo. C'était faux. Depuis le 30 juin, il était informé par des dépêches de l'amiral Hotham que l'Empe- reur avait abdiqué, qu'il avait quitté Paris et qu'il cherchait à s'échapper par mer ; depuis le 7 juillet, il savait que Napoléon était en route pour Rochefort afin de s'y embarquer pour l'Amé- rique. Maitland avait dit qu'il n'avait aucune connaissance d'une demande de sauf-conduits. C'était faux. Il savait depuis trois jours que ces sauf-conduits avaient été demandés