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CHRONIQUES DE LOUIS XII
PAR
JEAN D'AUTON
IMPRIMERIE DAUPELEY-GOUVERNEUR A NOGENT-LE-ROTROU.
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CHRONIQUES
DE LOUIS XIl
PAR
JEAN D'AUTON
EDITION PUBLIEE POUR LA SOCIETE DE L HISTOIRE DE FRANCE
PAR R. DE MAULDE LA GLAVIÈRE
TOME QUATRIÈME
A PARIS
LIBRAIRIE RENOUARD
H. LAURENS, SUCCESSEUR
LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DE l'hISTOIRE DE FRANCE
RUE DE TOURNON, N» 6
M DCCC XCV
273
EXTRAIT DU REGLEMENT.
Art. i4. — Le Conseil désigne les ouvrages à publier, et choisit les personnes les plus capables d'en préparer et d'en suivre la publication.
Il nomme, pour chaque ouvrage à publier, un Commissaire responsable, chargé d'en surveiller l'exécution.
Le nom de l'éditeur sera placé en tête de chaque volume.
Aucun volume ne pourra paraître sous le nom de la Société sans l'autorisation du Conseil, et s'il n'est accompagné d'une déclaration du Commissaire responsable, portant que le travail lui a paru mériter d'être publié.
Le Commissaire responsable soussigné déclare que le tome IV de Védition des Chroniqdes de Louis XII par Jean d'Auton, préparé par M. R. de Maulde la Clavière, lui a paru digne d'être publié par la Société' de l'Histoire de France.
Fait à Paris, le ^ 0 avril i 895.
Signé : BAGUENAULT DE PUGHESSE.
Certifié : Le Secrétaire de la Société de l'Histoire de France, A. DE BOISLISLE.
Ce volume contient la Notice sur Jean d'Auton, qui doit être placée en tête du tome /*"".
NOTICE
SUR
JEAN D'AUTON
Le règne de Louis XII a pour caractéristique, comme on sait, une sorte de fièvre littéraire. Le mouvement part d'en haut. Depuis le plus modeste conseiller au Parlement jus- qu'au cardinal d'Amboise, chacun tient à honneur déjouer au Mécène : les dédicaces d'Andrelin, deChampier, de Josse Bade et tant d'autres le démontrent abondamment^ Bouchet était au service de Louis de la Trémoille^ : MorviUiers^,
1. Bornons-nous à citer les Epistres de Bouchet; les vers insé- rés'àla suite de Guillermi Piellei, Turonensis, de Anglorum ex Gai- liis fuga et Hispanorum ex Navarra expulsione (plaq. de 1512-1513, chez Ant. Bonnemère).
2. Voici une lettre relative à son service :
« Très cher seigneur, je me recommande a vostre bonne grâce tant de bon cueur que je puis. Vous poursuivez par delà un pro- cès de criées pour monseigneur de la Tremoille notre maistre contre Jehan Giffart. Il a paie a l'acquit de'mondit seigneur cent livres en quelque lieu ou ladite somme estoit deue, au moyen de quoy on luy a donné terme du demourant jusques a Pasques, et, s'il ne paie dedans ledit terme, on pourra poursuir lesdites criées comme auparavant. Dont je vous advertiz, affin que supercedez la poursuite jusques audit terme. Et, a tant, je pry nostre seigneur qui vous doint ce que desirez. A Poictiers, ce vn^ jour de février.
« Le tout vostre serviteur, « Jehan Bouchet. »
(Orig. autogr. Archives de M. le duc de la Trémoïlle. Sur papier; écriture fine, très lisible, de procureur.)
3. Valerand de Varanis appelle Raoul de Lannoy : « Dulcis mî Mecena » [Carmen de expugnatione genuensi}, etc.
IV a
ij NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
Ligny, Gié, TrivulceS par exemple, se constituaient pro- tecteurs des arts ou des lettres 2. Marguerite d'Autriche, Anne de France^ Louise de Savoie tenaient de véritables cours intellectuelles^. On se faisait honneur, non seulement de soutenir, mais de pratiquer les choses de ^esprit^
La cour royale tenait la tête de ce courant. La reine Anne de Bretagne usait royalement des gros revenus de son duché personnel et de son douaire; et, comme elle ne redoutait point le luxe ni la flatterie, les lettres, l'art, les industries artistiques trouvèrent auprès d'elle un accueil sans rival. Quant au roi, il dépensait moins largement, parce qu'il se considérait comme un économe du denier populaire, mais il encouragea spécialement l'histoire, qu'il s'agît d'histoire ancienne ou moderne, des origines fabuleuses delà dynastie ou des faits contemporains*'. D'abord, il hérita des protégés
1. Bibl. Trivulziana, à Milan, cod. 2062 : recueil de poésies de Grassus, Scaurus, Nagonius et autres.
2. Cf. t. IV, p. 379 et 380, notes.
3. La Bibliothèque nationale a récemment recouvré, par les soins de M. Léopold Delisle, l'exemplaire de l'Abrégé des Chro- niques de France, par Regnault Havart, offert par l'auteur à Anne de France, vers 1500 (voy. Notice d'un choix de manuscrits des fonds Lihri et Barrais exposés dans la salle du Parnasse français, par M. Delisle. Paris, 1888, p. 30, n» 120).
4. V. notre livre Louise de Savoie et François I<"\ trente ans de jeunesse. Cf. Quentin-Bauchart, les Femmes bibliophiles de France. Paris, Morgand, 1886, 2 vol. ia-4o.
5. II était de bon ton de « fuir l'oisiveté » et de cultiver person- nellement les lettres. Jean Bouchât rapporte que le prince de Talmont,
« Par passetemps, rondeaux faisoit Et composoit... »
[Le Temple de bonne renommée, éd. de 1517, fol. ix.) Le duc Charles de Bourbon appartenait à cette môme école. Aune de Graviile était une femme de lettres, etc.
6. Nous avons indiqué, dans la Revue de l'Art français, 3" année,
NOTICE SUR JEAN DAUTON. iij
de son prédécesseur, des « Paulus ^milius, » des « Nago- nius, » des Simon « Nanquerius^ ; » il en acquit d'autres en Italie; lorsqu'il entre à Milan en 1499, il agrée l'hommage de la Genealogia Vicecomitum, de Tristano Calco, ce serviteur des Sforza^. A Pavie, en 1507, il demandait insi- dieusement à Jason Maino pourquoi, célèbre professeur, il ne s'était pas marié, et Maino de répliquer très hardiment : Ut, te commendante , Julius pontifex ad purpureum galerum gestandum me habilem sciat^. En 1510, Louis XII recommande même au pape pour des bénéfices le célèbre Pierre Martyr d'Anghera^ pourtant son adver- saire. . .
On voit ainsi comment se récompensaient les mérites litté- raires, non par de l'argent, mais par des charges. Aussi la plupart des écrivains, comme Gaguin, Antoine du Four, Ni- cole Gilles, Michel Riz, Amaury Bouchard, Laurent Bureau, Claude de Seyssel, Jean Lascaris, Louis Hélien, Guillaume Budé, Charpentier, Villebresme, Octovien de Saint-Gelais, Jean de Saint-Gelais et autres occupèrent des charges de cour ou des fonctions publiques, et on connaît leur vie lors- qu'elle s'est trouvée mêlée à des aventures retentissantes, comme celle des Saint-Gelais, ou à des missions impor- tantes, comme il advint à Riz, à Hélien, à Seyssel...; autre- janvier 1886, p. 2, les motifs qui paraissent reculer au règne de Louis Xn la date de la rédaction des précieux Mémoires de Fenin, publiés par M"e Dupont pour la Société de l'histoire de France. Cf. fr. 25295.
1. Les poésies de celui-ci ont été publiées en 1606, à Paris, in-B", sous ce titre : Opusculum de funere Caroli VIII, cum com- mentario. Elles contiennent des vers à Ghr. de Billy, à Gaguin, à Faustus Andrelinus. Cf. Bibl. nat., ms. nouv. acq. lat. 169, fol. 80.
2. Trivulziaua, ms. 1436, p. 445-453.
3. P. Jove, Vie de Jason Maino.
4. Voy. notre Diplomatie au temps de Machiavel, t. III, Pièces justificatives.
iv NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
ment, elle échapperait, et l'on ne sait rien de ceux qui, volontairement modestes, se sont dérobés au bruit. Nous connaissons Jaligny comme secrétaire du duc de Bourbon", Nicole Gilles comme secrétaire du roi^; le Sala, qui a écrit Fables et emblèmes en vers, traduit le roman de Tristan, décrit les Prouesses des princes, par des mentions administratives^. Cependant, sur une requête de Nicole Gilles, le roi lui accorde une pension de cent livres et une patente où il énumère ses services ^ Un peu plus tard, Humbert « Velay », d'Aix en Savoie, louangeur de Georges d'Amboise"* et historien de Louis XII, écrira aussi pour réclamer des honoraires ^.
Jean d'Auton appartient à la catégorie des âmes simples, dont on ne sait rien. On a été jusqu'à présent réduit aux conjectures pour retracer son existence.
L'on n'a pas même pu se mettre d'accord sur son origine,
1. X<a 9320, 62; lettre de Charles VIII au Parlement. Il lui envoie Nicole Gilles, son secrétaire, contrôleur du trésor à Paris, pour parler de certaines affaires. Moulins, 15 février (1490). — Nicole Gilles, notaire et secrétaire du roi, clerc et contrôleur de son trésor, fit de ses deniers bâtir la chapelle Saint-Louis à l'église Saint- Paul à Paris. Il y fut enterré. Il mourut le 10 juillet 1503; son épitaphe est rapportée ms. fr. 5527, année 1503.
2. Fr. 26110, 729. 15 déc. 1506. Distribution de sel ordonnée pour dépenses de maison, en payant le droit du marchand seule- ment : Les deux élus du Lyonnais, à chacun six "îjuintaux; à des receveurs, contrôleurs;... « à la poste Estienne Neel, im quin- taulx; à la garde dez mignes Jehan Sala, iiii q.; à l'escuyer Sala, son frère, nii q.; » à des magistrats, religieux, fonctionnaires administratifs... — Un Jean Salât était maître des requêtes du duc d'Orléans en 1491. Pierre Sala était valet de chambre de Fran- çois I^r (fr. 21449).
*" 3. Fr. 25717, fol. 147.
4. Vers latins pour le tombeau de G. d'Amboise : « Humbertus Vellietus Acquensis Allobrox dicavit » (ms. Clair. 943, fol. 126).
5. Lettre d'Humbert Yelliet au chancelier : Ghambéry, jeudi (J. 967).
NOTICE SUR JEAN D'AUTON. v
ni sur la simple orthographe de son nom. On l'a appelé par- fois « d'Anton, Danton » ou « Danthon*. » Laissons de côté l'apostrophe et 1'^, qui ne constituent que des variantes sans importance; reste à savoir s'il faut lire un u ou un n, « Anton » ou « Auton. »
Nous ne croyons pas qu'il puisse à cet égard subsister de doute sérieux ; la leçon Anton appartient à des copies secon- daires^ ou à des textes imprimés^; or, de tout temps, mais surtout au commencement du xvi^ siècle, il faut se défier des compositeurs d'imprimerie et des copistes^. Dans d'autres textes, le scribe ou l'imprimeur nous donne Auton^; par- fois même, l'une et l'autre version se suivent ou s'alternent®.
1. La leçon Anton dans Roman, Chronique du Loyal serviteur; Dupuy, Traité des droits du Roy, p. 20.
2. Ms. fr. 1953, fol. 23 : « Jehan Danthon. »
3. L'Exil de Gennes, à la suite de les Triumphes de France, plaq. goth. de 1508 (« Jehan Danton s); les Espistres envoyées au Roy, plaq. goth. de 1509 (quatre fois : « Danton ») ; J. Le Maire, Plaincte sur le trespas de feu messire de Ryssipat (« Abbé Danton »); Le Maire, Illustrations de Gaule, 3^ partie, l''^ éd. (« l'abbé Dange en Poitou, damp Jehan Danton »). M. Picot pense qu'on prononçait « Dauton » même en écrivant « Danton » [Revue d'histoire litté- raire de la France, n° 2, p. 146, note).
4. Dans son Epistre aux imprimeurs, Jean Bouchet les exhorte à publier désormais ses œuvres plus correctement (Epistres morales et familières du Traverseur. Poitiers, 1545).
5. Fr. 1716, fol. 6 : « Jehan Dauton; » fr. 5087 : « J. d'Authon; » fr. 1952 : « frère Jehan d'Authon; » Epistres familières de Jean Bouchet, éd. de 1545 (épîtres 57, 67) : a Jehan Dauthon; » Épîtres insérées en tête du Panégyrique de Jean Bouchet, l'^e éd. : « Jehan Dauthon. »
. 6. Le ms. 23988 de la Plainte du désiré, par Le Maire de Belges, porte « Dauton; » le ms. 1683 de la même Plainte : « Danton. » Le bibliophile Jacob fait remarquer que, dans la 67« épitre fami- lière de Jean Bouchet, « Jean d'Authon » rime avec « haut ton, » mais que d'autre part, dans l'Épître de Crétin à Macé de Ville- bresme, il rime avec « en ton. » Nous devons toutefois observer
vj NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
Mais nous possédons les textes officiels et authentiques des Chroniques de Jean d'Auton ; ces manuscrits portent tous Auton. M. Richard, archiviste de la Vienne, a découvert* aussi et a bien voulu nous communiquer un bail notarié, où notre auteur comparaît comme abbé d'Angle le 27 avril et le 28 août 1522, et, dans cet acte, le notaire a écrit « Jean Dauton. » Le rôle officiel des Officiers de Vostel du Roy l'appelle également « Dauton ^ » Denis et Théodore Gode- froy, le bibliophile Jacob ont donc eu raison de conserver le nom, traditionnellement accepté, à'Auton^.
Ce premier point fixé, il reste à rechercher le pays d'ori- gine de Jean d'Auton, question qui présente d'ailleurs un intérêt médiocre pour la critique, car il est très clair que l'écrivain, écho de certaines inspirations, fait abstraction de sa personnalité dans la rédaction de ses Chroniques, et ne se laisse guider par aucune considération locale. Trois indices nous permettent cependant de l'éclaircir : 1° Jean d'Auton a l'habitude personnelle de commencer l'année au 25 mars"*; 2° il s'étend, avec beaucoup de complaisance, avec une bienveillance anormale et des détails de première main, sur les faits et gestes d'un certain Antoine d'Auton, pour lequel il éprouve évidemment une sympathie particu- lières et dont il connaît fort bien le pays; 3" il appartenait
que, dans le ms. fr. 1711, fol. 13 v% de cette épître, le nom est écrit « Dauton. » L'Exil de Gennes, imprimé en 1508 pour Guil- laume Eustace, à la suite des Triumphes de France de J. d'Ivry, est a faict par frère Jehan Danton, » mais la table des matières porte « Dauton. »
1. Archives de la Vienne, abbaye d'Angle.
2. Ms. fr. 3087, fol. 39.
3. Ainsi que Brunet, Grœsse, etc.
4. T. I, p. 241, n. 2.
5. Ce d'Auton avait pour ami et compagnon un seigneur d'Aunis, Jean Ghappcron, que, dans tout le cours de ses Ghro-
NOTICE SUR JEAN D'AUTON. vij
à une famille seigneuriales car Bouchet le déclare, dans son Épitaphe, « un bon seigneur,... noble de sang,... noble des deux côtés^. » Ainsi, Jean d'Auton appartenait à une X famille des seigneurs d'Auton ; sa seigneurie se trouvait dans un pays de comput dit florentin, et il ne paraît pas étranger à Antoine d'Auton.
A cette époque^, il y a une seigneurie d'Auton dans le ressort de Châteaudun S qui ne peut nous arrêter, puisqu'elle se trouvait dans un pays de style de Pâques et qu'elle appar- tenait à la maison d'Armagnac ^ A défaut de celle-là,
niques, Jean d'Auton met constamment en relief, sous les plus minces prétextes (voy. Table des matières, v° Ghapperon).
1. On peut, à ce sujet, remarquer aussi son plaidoyer en faveur de la chasse (t. III, p. 102), bien qu'au dire de Bouchet il n'en usât pas personnellement.
2. Cette déclaration écarte de suite un grand nombre de syno- nymes, les noms de Dauton, Danton ou équivalents étant extrê- mement répandus. Ainsi nous trouvons des Danton bourgeois de Rouen (Pièces orig., G. des T., t. 973, n» 21530; t. 980, n» 21865); bourgeois d'Aubusson (l'un d'eux, à la fin du xvi« siècle, s'appelle même Jean Dauthon ou Danthon. Ibid., t. 973, n" 21533); des Dautan laboureurs à Vincennes, à Montreuil près Paris (Ibid., t. 980, n° 21862). Un faux monnayeur picard s'appelle Nicolas d'Auton (ou Dautun. JJ. 234, 83).
3. Il y a actuellement : Authon (Basseg- Alpes), 201 hab., arr. de Sisteron; Authon (Charente-Inférieure), 690 hab., arr. de Saint- Jean-d'Angély ; Authon (Eure-et-Loir), 1,427 hab., arr. de Nogent- le-Rotrou; Authon (Loir-et-Cher), 1,016 hab., arr. de Vendôme; Authon-la-Plaine (Seine-et-Oise), 655 hab., arr. de Rambouillet; Anthon (Isère), 356 hab., arr. de Vienne.
4. Ms. Moreau 365, p. 56 (mention).
5. Auton ou Anthon. Inventaire des titres de la maison de Bour- bon, II, p. 436. Cf. R^ 580, 32. Procès entre la duchesse d'Orléans et le comte du Maine. Arrêts du Parlement du 8 mai 1470; ordon- nance du conseiller Briçonnet, commis le 22 septembre 1471; procès-verbal du même, 15 juillet 1471, pour AUuye, Authon, Montmirail, Bazoche... Briçonnet, du consentement des officiers
viij NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
devons-nous rattacher Jean d' Anton au Dauphiné ou à la Saintonge, deux provinces où l'on commençait l'année au 25 mars *■ ?
On a quelquefois voulu faire de Jean d'Auton un dauphi- nois, et, à l'appui de cette opinion, on pourrait observer qu'il emploie souvent une expression provinciale, mais surtout lyonnaise et dauphinoise^ « aller de Lyon en France ^ » Aubert du Rousset, gentilhomme dauphinois, commandait une compagnie d'hommes d'armes, composée, au dire d'Ay- mar de Rivail, de dauphinois, et, dans cette compagnie, nous trouvons un Cyprien d'Auton homme d'armes, peut- être dauphinoise Enfin, Jean d'Auton ne s'exprime pas en poitevin quand il appelle^ Cytran Gilbert des Serpens, sei- gneur de Châtain en Poitou^.
Mais, d'autre part, sous le fatras conventionnel du langage savant de ce temps, Jean d'Auton laisse percer des traces du langage poitevin et saintongeais. Ainsi, il
du comte, leur enjoint de ressortir du gouverneur du duché d'Or- léans et d'Ienville (Janville).
1. « Le XXV de mars, jour de Nostre Dame, auquel l'église gal- licane commençoit a compter mil cinq cens et xn..., » dit Jean Thenaud, cordelier d'Augoulême [le Voyage d'outremer, publ. par M. Schefer, p. 35).
2. En tout cas, elle exclut l'idée de rattacher Jean d'Auton au Perche ou au Dunois; elle était d'ailleurs conforme à la coutume. Ainsi Jean d'Auton dira de même : « gascon, françoys, savoizien » (III, 129), pour distinguer trois personnes diverses.
3. T. I, p. 312.
4. T. I, p. 212.
5. T. I, p. 24.
6. Nous devons observer sur ce point que le nom de Chitain subit les plus nombreuses variantes. Dos Serpens lui-même signe « Ghitan » (ms. Dupuy 2G1, fol. 191), « Chitain » (Titres orig., n» 7 : reconnaissance de son beau-frère Gaspard de Goligny ; n* 8). Gf. fr. 21449, passim. Jean des Serpens s'intitulait, en 1488, « Gytain » (ibid., n° 5), etc.
NOTICE SUR JEAN D'AUTON. ix
dira : « Entour la feste sainct HylaireS » en bon poite- vin. Il prononce et écrit « cheulz » (chez), « fayerye » (féerie) ^.. Enfin, ses relations personnelles sont poitevines. Son protégé et sou meilleur ami est Jean Bouchet, qui lui a adressé des épîtres, qui a confectionné son épitaphe et qui se fait gloire de suivre ses préceptes. Avec Jean Bouchet, Jean d'Auton trouve encore un prôneur, plus exclusivement poitevin, s'il se peut, dans la personne de Pierre Gervaise, poète fort obscur de Poitiers, connu par une épître, conser- vée dans les œuvres de Bouchet, où il exalte Jean d'Auton ^. Ainsi, notre auteur nous apparaît comme le patron naturel des poitevins qui aspiraient aux bienfaits de la cour et aux honneurs du beau langage^. On objectera qu'il se rattachait au Poitou comme abbé d'Angle ; mais Jean d'Auton, selon l'usage du temps, ne résida point dans son abbaye, si ce n'est à la fin de sa vie ; il ne pouvait même pas y résider, puisqu'il suivit professionnellement la cour. Il fut également prieur de Clermont-Lodève , et, de ce côté-là, on ne lui trouve aucunes relations semblables. Enfin, et surtout, observons que Jean Bouchet fut l'élève de Jean d'Auton ; il le dit à plusieurs reprises s; or, Bouchet fit ses débuts à la cour un peu avant la mort de Charles VIII ^ ; d'Auton reçut son abbaye de Louis XII, et ainsi il faut supposer des rap- ports antérieurs.
i. T. m, p. 103.
2. « Queurée, » pour curée (III, 102).
3. Bouchet, Épîtres familières, ép. 22, fol. 22 v°.
4. L'abbé Goujet va même jusqu'à dire qu'il était de Poitiers. Bayle, Dreux du Radier, Rainguet {Biographie saintongeaise. Saintes, 1851) le rattachent sans hé^tation à la Saintonge.
5. "Voy. ci-après.
6. Florimond Robertet voulut bien présenter à Charles VIII un échantillon de ses vers (J. Bouchet, Panégyrique, Dédicace à Robertet).
X NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
Quant aux autres indices en faveur du Dauphiné, ils cèdent devant le fait que la baronnie d'Anton (avec un n'), en Dauphiné, appartenait au sire du Bouchage^, qui en portait le titre ^, et avec lequel Jean d'Auton n'a incontestablement aucun rapport. La circonstance que Jean d'Auton connais- sait bien Lyon et qu'il a pu employer une locution dauphi- noise ou lyonnaise ne prouve rien, attendu qu'il fit à Lyon avec la cour des séjours fréquents et prolongés; il connaît Lyon beaucoup mieux que Paris^
Au contraire, la baronnie d'Auton^, en Saintonge, appar- tenait à une famille d'Auton, peu célèbre, mais dont nous rencontrons çà et là des traces dans l'histoire^. Un Loyset
1. Échange entre le dauphin de Viennois et les seigneurs d'Anthon confirmés par Louis XH, oct. 1498; fr. 2900, fol. 39.
2. Imbert de Batarnay, chevalier, baron d'Anthon et du Bou- chage; fr. 2919, fol. 63, acte de 1497. Lettre de d'Aumont à M"e d'Anthon, sa nièce. Amboise, 3 oct.; fr. 2965, fol. 64. Cf. t. II, p. 146, n. 3.
3. Voy. t. m, p. 347.
4. Il connaît même très peu Paris (t. U, p. 221).
5. Actuellement Authon, cant. deSaint-Hilaire-de-Villefranche, arr. de Saint-Jean-dAngély (Charente-Inférieure).
6. D'après Beauchet-Filleau et de Ghergé (Dictionnaire
des familles de l'ancien Poitou. Poitiers, 1841, t. I, p. 156), la famille d'Authon, d'Auton ou d'Aulthon, comptait un grand nombre de membres au xv^ siècle; ces auteurs citent : Jean, écuyer, seigneur de Béruges, en '1424; Jacques et Louis, brigan- diniers du sire de Bressuire, 1467 ; un bâtard, archer, en 1485-1491 ; Ythier, habitant près de Givray, 1491-92; Ythier, seigneur de Vausay, archer, 1492; Jean (de Ghampault), archer, 1491-92; Antoine, homme d'armes, 1506; Charles, homme d'armes delà compagnie La Trémoille, 1517, 1519; divers des xvi« et xvii« siè- cles. Les armes sont : de gueules, à aigle éployé, couronné d'or. — La nouvelle édition de Beauchet-Filleau (I, 188) donne la filia- tion suivante : Jean d'Authon, écuyer du duc de Guyenne (1472), épousa Marguerite de Mareuil, dont il eut : 1« Nicolas, qui épousa Isabeau Flament de Bruzac (sans postérité) ; 2° Pierre (aveu en
NOTICE SUR JEAN D'AUTON. xj
Dauton, écuyer, était même homme d'armes de la compa- gnie personnelle de Louis XII avant son avènement, et reçoit de lui une gratification de quarante livres, par le minis- tère de Jacques Hurault, le 6 mai 1485* ; notre chroniqueur put donc trouver à la cour des voies préparées. Ajoutons que la famille d'Auton tint par la suite un rôle de plus en plus brillant en Saintonge. « Seguin Dauton, seigneur baron .dudit lieu, » était en 1610 sénéchal de la province^ De
1487 au seigneur de Taillebourg), qui épousa Souveraine Flament de Bruzac, dont il eut : 1» Antoine; 2° Isabeau (qui épousa, le 30 septembre 1500, Georges Guy); 3" Marie (qui épousa, le 6 mars 1504, Ant. Goulard, s. de la Boulidière). Antoine, homme d'armes, à qui on rapporte les aventures d Antoine d'Auton décrites dans Jean d'Auton, épousa vers 1500 Anne de Saint- Gelais, de la branche de Séligny, et en eut plusieurs enfants. Mais cette filiation est inexacte ou incomplète, car elle n'établit rien pour notre Jean d'Auton, ni pour un autre Jean d'Authon, écuyer du duc de Guyenne, qui nous est connu par une quittance de ses gages, d'avril 1472 (fr. 6990, fol. 200). Un Chariot d'Auton, gentilhomme saintongeais, et certainement proche parent d'An- toine, figure aussi à la fin du xv^ siècle, dans une assez fâcheuse affaire, l'enlèvement d'une jeune fille (JJ. 233, fol. 112 et suiv.). Les Roolles des bans et arrière bans de la 'province de Poictou... (extraits des originaux estans par devers Pierre de Savezay, escuyer, sieur de Bois-Ferrand. Poitiers, 1667, in -4°) citent encore : Daulton Jacques, Daulton Louys, brigandiniers du sire de Bressuire en 1467 (p. 17); et, en 1491, dans l'arrière-ban, Daul- ton Ytier (de Civray), pour son père, qui est vieux de soixante- quinze ans (p. 41), le même Daulton Ytier, pour son père, s. de Vansay (p. 69); le môme, en archer : on lui enjoint d'avoir des gantelets; Dauthon Jean (p. 57), en archer (de Ghampault, contrée de Niort). Cf. ms. Clairambault 3, cl. 5, n» 90, une quittance de Hugues Dauton, chevalier, en Saintonge (1337). Enfin un sceau d'un Guillaume d'Auton, au xm^ siècle (Hist. du Languedoc, V, pi. 5, no 63), difi'ère tout à fait de celui décrit par M. Beauchet- Filleau. On manque donc, en résumé, de données précises.
1. Cabinet des titres, Pièces orig., t. 77, n" 1549.
2. Quittance d'un quartier de gages, 24 mai 1610. Cabinet des titres, Pièces orig., t. 973, n» 21539.
xij NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
plus, Jean d'Auton qualifie expressément de Saintongeals le seigneur d'Auton dont il parle.
Jean d'Auton naquit donc en Saintonge, et en 1466 ou 1467, puisqu'il mourut en janvier 1528, âgé, selon son épi- taphe, de soixante ans <^ ou plus. » Il était religieux de l'ordre de Saint-Benoît^. Nous ne savons rien de ses œuvres avant l'année 1499, à moins que l'on ne veuille reporter à cette première période de sa vie une traduction des Méta- morphoses d'Ovide, que nous ne connaissons que par une citation de Jean Bouchet^ ; mais cette hypothèse nous paraît peu vraisemblable ; ses œuvres proprement littéraires appar- tiennent à la fin de sa carrière ; nous pouvons établir la date de toutes les autres, et nous serions porté à assigner aux Métamorphoses une date analogue^. Sans doute, Ovide se trouvait fort à la mode sous le règne de Charles VIII, et l'évêque d'Angoulême, Octovien de Saint-Gelais, lui dut alors une partie de sa faveur; mais, sous Charles VIII, personne ne connaissait encore Jean d'Auton ^ Tout d'un
1. Godefroy dit, par lapsus, de l'ordre de Saint-Augustin. Cette erreur vient de Jean Bouchet, dans une épître adressée à Jean d'Auton lui-même (en tête du Panégyrique).
2. 67e épître, à la fin (éd. de 1545) : épître à « Révérend père en Dieu frère Jehan Dauthon, abbé d'Angle et croniqueur du feu Roy Loys XII, faisant mention du jeu du monde; » et « Res- ponce faicte par ledict révérend abbé d'Angle... »
3. Bien que Jean Bouchet, lors de la mort de Jean d'Auton, cite les Métamorphoses comme une œuvre d' « autrefois. »
4. Le bibliophile Jacob, qui cite les vers suivants de Gervaise :
«... Que [Jean d'Auton] vis jadis en son saint hermitage De l'origine composer maints beaux faits..., » est porté à interpréter ces expressions ambiguës dans le sens d'un commencement de Chronique, qui devait remonter à l'origine des Français. Nous croirions plutôt, mais sans pouvoir rien affirmer, que Gervaise fait allusion à quelque œuvre de début; probable- ment, Jean d'Auton avait dû composer d'abord, au fond de son
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coup, ce personnage sans ambition, jeune, modeste, peu remuant, conçoit et exécute le projet d'écrire une relation presque officielle de la campagne de Milan, avec un poème solennel, redondant et insipide, mais de circonstance, les Alarmes de Mars. Il prend la peine d'aller à Milan. Il présente son œuvre sans la signer, mais le bibliophile Jacob a parfaitement eu raison d'y suppléer sa signature*. D'où put lui venir cette brusque ambition de se faire l'historio- graphe de la cour? Qui donc tira Jean d'Auton de son cou- vent pour lui inspirer un acte aussi officiel^? qui lui en donna les moyens? qui lui fit espérer le succès? Ici, nous n'avons guère de doute : c'est la reine Anne de Bretagne. Outre que nous reconnaissons là le procédé de la reine Anne, Jean d'Auton, à plusieurs reprises, s'avoue son protégé; le début de cette protection se rapporte précisément à la prise de possession par Anne de Bretagne de son douaire. Malgré son mariage avec le nouveau roi Louis XII, la reine con- serva, avec une administration à elle, sa très opulente dota- tion de reine douairière, comme veuve de Charles VIII ; les vastes domaines qui lui furent ainsi attribués s'étendaient surtout en Saintonge, autour de la Rochelle et de Saint- cloître, un roman de « beaux faits, » selon la mode du temps. Rien, dans sa Chronique, n'annonce un préambule ambitieux ni même un préambule quelconque, au contraire.
1. Avant lui, Th. Godefroy s'était aperçu que le récit de 1499 était de Jean d'Auton et l'avait réuni à la Chronique de 1501- 1506, dans une copie actuellement à la bibliothèque de l'Institut (ms. Godefroy 228).
2. Jean d'Auton ne rédigea qu'en 1500 la chronique de 1499 (t. I, p. 90, n. 2), mais il agit dès 1499 avec des allures officielles, voyant par lui-même une partie des choses (il fit le voyage de Milan) et s'informant des autres par enquêtes (t. I, p. 4, n. 1; 87, n. 2), et déjà alors il se plaint de la difficulté de se montrer exact et impartial (p. 109).
xiv NOTICE SUR JEAN D'âUTON.
Jean-d'Angély, qui y étaient compris ; le douaire compor- tait aussi des domaines en Languedoc, près de Montpellier. Or, par une coïncidence digne de remarque, le moine que nous croyons saintongeais débute à la cour au moment de la constitution du douaire, et il va, en récompense de ses travaux, recevoir des bénéfices en Poitou, puis près de Lodève.
Cette remarque est fort importante pour la critique des Chroniques. La reine, dont on sait l'esprit volontaire, joua un grand rôle dans les faits que rapporte Jean d'Auton ; c'est elle qui, passionnée pour l'indépendance de la Bretagne, poursuivit une lutte ardente et opiniâtre en vue de marier sa fille Claude au fils de l'archiduc, en lui donnant comme dot une partie de la France. On connaît ces mémorables événements, couronnés par le procès du maréchal de Gié, par la brouille du roi et de la reine, par le mariage de Claude avec le comte d'Angoulême. Or, dès le début de ses Chroniques (et c'est le plus grave reproche qu'on puisse leur adresser) , Jean d'Auton s'inspire manifestement des goûts, des idées et, pour tout dire, de ïécole de la reine. Cette tendance, dont il faut tenir compte en utilisant son récit, est sensible sur bien des points et l'entraîne jusqu'à contrecarrer même dans certaines circonstances les idées du roi et du cardinal d'Amboise. Ainsi, une dépêche du résident vénitien Dandolo, du 18 février 1502 (anc. st.)^ expose que César Borgia se soutient à la cour par l'appui politique du cardinal d'Amboise et qu'il a contre lui une grande influence, la reine; en l'absence du cardinal, le parti de la reine ne se gênait pas, dit l'ambassadeur, pour murmurer, pour accuser le roi de laisser le Valentinois trop lever la crête et deve-
1. Archives de Venise.
NOTICE SUR JEAN D'AUTON. XV
nir dangereux; le roi se borne à hocher la tête, en disant qu'il ne laissera pas dépasser les bornes... Eh bien, Jean d'Auton, dans ses écrits officiels, n'imite point la réserve du roi; il témoigne au Valentinois une haine profonde ^ Bien plus ! on dirait qu'il craint de le nommer ou de le qualifier; il recourt à des subterfuges amusants; il appelle César « nepveu du frère du pape-, » pour dire « fils du pape » sans le dire. Cyprien d'Auton servait dans la compagnie Valentinois, dont Aubert du Rousset était lieutenant ; Jean d'Auton appelle cette compagnie Du Rousset.
Pourtant, lorsque le rôle antipatriotique de la reine s'ac- centue et aboutit à un éclat, Jean d'Auton commence à éprouver un certain malaise et modifie légèrement son accent. Il parle encore du procès du maréchal de Gié comme on le faisait dans l'entourage de la reine, mais déjà il donne à son récit un préambule d'étonnement et de philosophie. Il applaudit néanmoins à la chute du maréchal, et il obtient aussitôt après de l'avancement. L'influence de la reine se fait encore jour dans le récit du mariage de Claude de France et dans la longue mention accordée à Antoine Duprat, cet astre naissante Le chroniqueur pousse même la conscience jusqu'à déclarer « très belle » la pauvre Claude de France, qui était si laide. Mais peu à peu l'inspiration de la reine décroît. Le consciencieux chroniqueur a pris au sérieux son rôle officiel ; il cherche à plaire au roi, auquel il offre des poésies ; il se débat contre les influences avec un véritable souci d'indépendance. Aussi sommes-nous fondé à croire que son étoile pâlit près de la reine. Nous le voyons
4. Voy. notamment t. U, p. 87.
2. T. n, p. 12.
3. T. IV.
xvj NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
supplanté par d'autres dans les faveurs d'une princesse bonne, mais exigeante ; Jean Marot écrit, pour la reine, le récit de l'expédition de 1507; il l'écrit en vers, avec un accompagnement de miniatures fort soignées; la reine le prend pour poète, et, peu après, elle prend Jean Le Maire pour son historiographe. A ce moment, Jean d'Auton, comme nous allons le dire, abandonne la plume de l'histo- rien et se réfugie dans la poésie. On peut supposer à ces divers événements un certain lien, nécessairement tout moral, et il ne serait pas surprenant que la reine, après avoir valu à Jean d'Auton sa carrière, ait contribué ensuite à son éloignement.
Jean d'Auton intitule simplement Conqueste de Millan sa première chronique, non officielle. Il appelle déjà la seconde Chronique du roy Loys XIF, et la troisième devient Chronique de France. L'auteur prend alors le titre d' Historiographe du Roy^. Au début, il suivait son propre comput, le 25 mars ; il adopte à partir de 1501 le comput rojal de Pâques ^
A mesure que son caractère officiel s'affirme, sa narration change de ton; elle devient plus prolixe, plus diffuse, plus consciencieuse, si l'on veut, et en même temps plus hâtive. En maint endroit, il proteste de son soin et de son loyal désir d'impartialité^; il nous renseigne sur sa manière de
1. Le récit de 1499 est un récit abrégé, fait évidemment en vue d'appeler l'attention du prince. Jean d'Auton dit lui-même qu'il le fait dans du temps dérobé à d'autres occupations. Le récit de 1500 forme déjà un tout plus vaste et plus complet. Le récit de 1501-1506 forme un volume tout à fait officiel.
2. T. n, p. 3.
3. Voy. t. III, p. 158. Il insiste sur son extrême désintéresse- ment. Il ne prend la plume, dit-il, que parce qu'il ne peut tenir l'épée, par haine de l'oisiveté, qui engendre la volupté (ibid., et I, 3, 109, 117).
NOTICE SUR JEAN D'AUTON. xvij
composer*, et, plus il va, plus il multiplie ces affirmations 2. Il suit partout la cour; il accompagne le roi dans ses expé- ditions en Italie^; il fraie avec les capitaines, avec les hommes d'armes de tout grade ; il ne craint pas de boire et de manger avec eux^, d'aller sur le champ de bataille^, lui, religieux des plus paisibles, pour se faire une idée de l'art de la guerre et recueillir sur l'artillerie, sur les bandes, sur les exploits de tel personnage, des renseigne- ments précis, authentiques. Déjà, sous Charles VIII, An- dré de la Vigne, commis « à mettre par écrit ce présent voyage, » avait accompagné le roi à Naples, en lui présen- tant çà et là quelque rondeau de circonstance pour le diver- tir^. Jean d'Auton fait de même, mais son œuvre est plus complexe, plus difficile. Il va partout, le calepin à la main, comme un journaliste de nos jours ', et il lui faut composer sa
1. Il aime surtout parler de ce qu'il a vu (t. I, p. 4, n. i; II, 107) ou invoquer au moins des témoignages oculaires (III, 164, 166). En célébrant, sur l'ordre du roi, l'histoire invraisemblable de la mort de Thomassine Spinola, il a soin de laisser la responsabilité du récit à Germain de Bonneval (IV, 12), connu alors comme con- teur de Nouvelles (IV, 361).
2. T. m et IV. Voy. notamment III, 230, 239, 317.
3. Il va à Milan en 1499 (I, 87, n. 2), à Gênes et à Milan en 1502 (II, 245; III, 29, 75), à Gênes en 1507 (IV, passim); il vit à la cour à Lyon (II, 106; III, 96),àBlois : « ... Vostre abbé d'Angle, écrit Jean Bouchet à Louis XII,
Lequel vous suit souvent en robbe sangle
Pour mettre au vray par escrit vos haults faits. »
4. Il fait même souper à ses frais et chez lui des gens d'armes pour en tirer des récits exacts (III, 317).
5. A Gênes, en 1507, il prend ses renseignements sur le champ de bataille et de visu (III, p. 229; IV, p. 12).
6. Godefroy, Hist. de Charles VIII, p. 189.
7. Notamment t. III, p. 315. — 11 est en cour, « aux escoutes, » dit-il (III, 339).
IV h
xviij NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
Chronique sur-le-champ, afin de la remettre au roi sans trop de délai ' . Ajoutons que la Chronique, aussitôt livrée en pâture à un certain public, valait à son auteur une grande répu- tation^ et bien des critiques. Gratifié, en 1505, par le cardi- nal-légat d'Amboise du prieuré de Clermont-Lodève, où il se trouvait dans la dépendance directe du cardinal de Nar- bonne, neveu du légat, Jean d'Auton est à la fois satisfait ^ et gêné. Il n'aimait point la lutte ; il écrivait par goût, pour éviter l'oisiveté , pour exalter les bons et réprouver les méchants. Quand il vit qu'une si noble mission lui attirait des attaques et des dégoûts (à propos desquels il s'exprime avec une certaine amertume dès 1503^), son découragement sur
{. T. III, p. 289, il dit que César Borgia, arrêté en 1504, pas- sera probablement le reste de sa vie en prison. Sa chronique de 1499 fut rédigée en 1500, celle de 1500 en 1502 (I, 318).
2. m, 317. Dès 1503, évoquant la Rhétorique sur la tombe du comte de Ligny, Jean Le Maire de Belges met les vers suivants dans la bouche de cette dame :
« Encores est hors de ce mondain fabricque Ung mien privé Robertet magnificque, Qui mon feu George en grant pleur honnoura; Et Sainct Gelais, coulourant maint canticque, Pleurant son Roy plus cler que nulle antique, Les a suivy; si croy que Rhetoricque Finablement avec eulx se mourra. Ung bien y a que encor me reste et dure : Mon Molinet, moulant fleur et verdure, Dont le hault bruyt jamais ne périra; Et ung Crétin, tout plain de flouriture, Qui le conserve en vigueur et nature; Et toy, Dauton, car la sienne escripture Et ta Cronicque a tousjours flourira. » Le Maire cite ensuite le second Robertet, et les musiciens Josquin de Prez, Hilaire Évrart.
3. IV, 27.
4. En tête : ch. xxiv; fin du ch. xxir; t. III, p. 317. Dès 1499, il commençait à se plaindre (I, 109).
NOTICE SUR JEAN DAUTON. xix
l'impossibilité de satisfaire tout le monde s'accentue de plus en plus et finit certainement par lui inspirer le désir de laisser là son rôle et de rentrer dans la paix.
Pour rédiger ses Chroniques, Jean d' Au ton ne devait d'ail- leurs consulter que ses propres forces ; on ne lui prêtait aucun appui officiel'. Aussi a-t-il rarement un document entre les mains 2 et ignore-t-il des faits très importants, notamment les négociations, et il l'avoue 3.
Il raconte les faits extérieurs, ce qui se sait à la cour, et cela sans parti pris; il représente ordinairement l'opi- nion moyenne. C'est un excellent homme, d'esprit peu distingué, plein de bonne volonté et de bienveillance, sincère et honnêtement naïf. Soit réserve, soit éloignement naturel ou professionnel pour les intrigues, on s'aperçoit qu'il ne connaît pas à fond le personnel de la cour, parce qu'il commet de petites méprises d'appellation'*. Plusieurs
1. Il se plaint amèrement qu'on ne lui dise rien et rejette sur ce silence les lacunes qui peuvent se trouver dans ses récits (UI, 317).
2. Cependant il donne le texte d'une trêve et le texte des dis- cours de Gênes en 1507. Il invoque aussi (t. III, p. 167) un rap- port officiel ennemi. A la même époque, la Chronique rédigée par Haneton, premier secrétaire du roi de Castille, ne comprend presque, à l'inverse, que des documents.
3. II, 213; t. III, négociations de 1504; k IV, p. 343, négocia- tions de Savone; négociations de 1505 (« a porte cloze, quant a moy. ï m, 358).
4. Ainsi il appelle Gaspard de Goursinges « Menna j (t. I), « Aymer » (t. Il, p. 12, 278); Charles de Bourbon, comte de Roussillon, « Jacques » (II, 189), ou « Louis » (II, 21); Etienne Poncher, évèque de Paris, « Jean » (passvn); Louis de Gastelba- jac, « Bertrand » (II, 21); Jacques de la TrémoïUe, seigneur de Mauléon, « François s (II, 12); le marquis Louis de Saluces, « François; » Louis de Bigars, seigneur de la Lande, tantôt « Jean de la Lande » (II, 13, 278), tantôt « Pierre de la Lande » (II, 287, 290) ; le sire de Rohan, « vicomte de Rohan » (I, 73) ; Antoine Duprat « Jean Du Prat » (III, 230).
XX NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
de ces confusions sont d'ailleurs imputables à la hâte de la rédaction*.
De même, il a quelquefois erré, soit sur des faits d'his- toire^ soit sur des détails de géographie^ En général, ces légers lapsus ne présentent pas de gravité (comme on peut le voir par les spécimens que nous citons) ; il appartient à l'éditeur de les reviser, d'unifier par une table des matières les variations , et on ne saurait tenir rigueur à l'auteur, qui, évidemment, recherchait ses renseignements avec beaucoup de soin, qui les a pris à bonne source^ et les fournit habituellement fort exacts^. Sous cette réserve, nous n'avons pas ménagé, dans notre annotation, les petites chicanes de détail^.
\ . Il lui arrive d'appeler « Jean de Rohan » Pierre de Rohan, maréchal de Gié, personnage connu de la France entière ; il con- fond, à un moment, Roquebertin avec Roquemartin, qui fut ambassadeur en Espagne (II, 117); il donne ici son vrai nom à James, infant de Navarre (II, 155), et quelques pages plus loin il le nomme infant de Foix (II, 189, 198); il appelle successivement le même homme d'armes Marc du Fresne (II, 287) et Marc du Chesne (II, 290); Jean de Dinteville ou de Tinteville (II, 21, 74, etc.; cette variante autorisée par l'usage).
2. Il dit (I, 6) que Charles d'Orléans a été hostage en Angleterre; c'est Jean, frère de Charles.
3. Il place en Fouille Lecce, qui est dans la terre d'Otrante (II, 204); il appelle Ghiavenna tantôt « Glavene, » tantôt Chavannes...
4. Voy. les renseignements fournis par Bayard (III, 108), par le cardinal de Prie, par Gabriel de la Châtre (III, 96), par d'Aubi- gny, La Palisse et autres capitaines (III, 314), par Antoine de Gonflans (II, 158), etc.
5. Voy. t. n, 13; I, 226.
6. Voy. 1. 1, 5 n. 2, 7 n. 1, 12, 18 n. 2, 47 n. 1, 50 n. 1, 63 n. I, 78 n. 3, 79 n. 3, 81 n. 1, 91 n. 4, 108 n. 5, 120 n. 1, 123 n. 1,